Tsippora
senti l’eau. Il n’était
plus question de les arrêter. Elles se mirent à trotter vers les puits, bêlant
et se bousculant avec un bel entrain. Tsippora retint Sefoba par le bras.
— Il y a moins d’une lune, notre père
a rendu un jugement défavorable à Houssenek. Ni lui ni ses fils n’aiment la
justice…
Sefoba la dévisagea, les sourcils levés,
pour la prier de mieux s’expliquer. Tout à coup l’une et l’autre sursautèrent.
— Que faites-vous ? criait Orma.
Êtes-vous devenus fous ?
Avec agilité, poussant de petits cris
rauques, les fils de Houssenek couraient à la rencontre des brebis pour les
disperser. Les bêtes, affolées, se mirent à galoper en tous sens. En quelques
secondes, elles s’éparpillèrent. Alors que Tsippora et Sefoba tentaient
vainement de les arrêter, certaines dévalèrent la pente, au risque de se rompre
le cou contre les roches. Derrière elles, les fils de Houssenek riaient en
faisant tournoyer leurs bâtons.
Sefoba, essoufflée, cessa de courir
inutilement. Les yeux noirs de fureur, elle pointa le doigt sur le troupeau
disséminé.
— Si une seule bête se blesse, vous
vous en repentirez ! Nous sommes les filles de Jethro, et ce troupeau lui
appartient.
Les quatre hommes cessèrent de rire.
— Nous savons très bien qui tu es,
marmonna celui que Tsippora avait désigné comme l’aîné.
— Alors, vous savez aussi que ce n’est
pas votre tour d’être au puits, gronda Orma. Fichez le camp et laissez-nous en
paix. En plus, vous puez comme de vieux boucs ! C’est répugnant.
Rajustant, d’un geste lourd de mépris, sa
tunique qui avait glissé de son épaule, et soulignant d’une grimace son dégoût,
Orma se rapprocha de Tsippora. Insensibles à l’insulte, les hommes observaient
chacun de ses mouvements, fascinés. Puis l’un d’eux dit :
— C’est notre jour, aujourd’hui. Et
demain, et encore après-demain si bon nous semble.
— Bête sauvage ! siffla Orma. Tu
sais bien que ça ne se peut pas.
Tsippora posa une main sur son bras pour la
faire taire, tandis que le fils de Houssenek se remettait à ricaner.
— C’est notre jour quand on veut. Nous
avons décidé que ce puits nous appartenait.
Sefoba lâcha un cri de rage. Tsippora
s’avança de quelques pas.
— Je te connais, fils de Houssenek.
Mon père a rendu un jugement contre toi et tes frères pour avoir volé une
chamelle. Si tu veux te venger en nous empêchant d’atteindre le puits, c’est
stupide. Ta punition n’en sera que plus dure.
— Nous n’avons pas volé de chamelle.
Elle nous appartenait ! s’exclama l’un des frères.
— Qui es-tu, noiraude, pour me dire ce
que je peux ou ne peux pas faire ? railla l’aîné.
— Je suis la fille de Jethro, et je
sais que tu mens.
— Tsippora ! fit tout bas Sefoba.
Trop tard. Moulinant l’air de leurs bâtons,
les trois hommes s’étaient approchés, séparant Tsippora de ses sœurs. L’aîné
des fils de Houssenek la repoussa d’un coup sur la poitrine.
— Si c’est vrai que ton père est ton
père, c’est qu’il a baisé le cul d’un bouc noir, rigola-t-il.
La main de Tsippora claqua sur sa joue avec
tant de force que l’homme chancela. Ses frères cessèrent de rire pour
l’observer, surpris. Tsippora voulut en profiter pour fuir. Mais l’un des
hommes fut plus rapide. Il lança son bâton entre ses jambes. Elle tomba de tout
son long.
Avant même qu’elle tente de se relever, un
corps lourd, puant la sueur et grognant de haine, s’affala sur elle. Elle cria
de peur autant que de douleur. Des doigts durs s’agrippèrent à sa poitrine. Le
tissu de sa robe se déchira, un genou s’enfonça entre ses cuisses. La tête en
feu, elle percevait, lointains, les hurlements de Sefoba et d’Orma. La nausée
lui monta à la gorge tandis que ses bras faiblissaient. L’homme semblait avoir
mille mains, des doigts griffaient ses cuisses, sa bouche, son ventre,
écrasaient ses poignets et ses seins.
Puis Tsippora, les yeux clos, entendit un
bruit mouillé, pareil à celui d’une pastèque qui éclate. L’homme gémit et roula
sur le côté. Sur elle, il ne restait que son odeur.
Elle n’osa bouger. Tout autour, ce
n’étaient que halètements, bruits de luttes et piétinements.
Sefoba cria. Tsippora ouvrit enfin les
yeux. Sefoba entraînait Orma vers le puits. Tout près, l’aîné des fils de
Houssenek semblait dormir, la joue écrasée contre une pierre, la bouche rouge
de
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