Tu montreras ma tête au peuple
s’apprête à
mourir pour une femme qu’il n’aura vue que le temps
d’un trajet entre le palais de Justice et la place de la
Révolution, n’avait jamais été traduite en français. Je
n’y ai rien enlevé, rien ajouté. Les germanophones
pourront lire la version originale au Musée des lettres
et manuscrits, boulevard Saint-Germain, à Paris. Elle
s’y trouve à côté de l’Adresse aux Français... de Charlotte Corday.
*
Le 21 octobre 1792, les hommes du général Custine
entraient triomphalement à Mayence.
La cité rhénane, qui avait vu naître Gutenberg trois
cents ans plus tôt, s’était enflammée pour les idées de
la Révolution : l’armée fut accueillie sous les vivats de la
foule, les évêques, les aristocrates et leurs domestiques
quittèrent la ville, un arbre de la Liberté fut planté sur
la place du marché, la République de Mayence fut proclamée et une délégation de trois membres, chargée
de porter à la Convention le décret de réunion à la
France, fut envoyée à Paris.
C’est ainsi que, quelques mois plus tard, je me
retrouvai à l’hôtel des Patriotes hollandais, rue des
Moulins, en compagnie de Forster et Potocki.
Rien, pourtant, ne me prédestinait à une carrière
politique. Mes parents eussent préféré que je consacre
ma vie à la médecine, mais l’anatomie me rebutait. Je
me passionnai pour la philosophie, lus les plus grands
auteurs, rédigeai une thèse sur l’enthousiasme, et
entrai comme précepteur dans la maison d’un riche
marchand de Mayence dont la femme avait une sœur
que j’épousai rapidement. Trois filles naquirent de
cette union et, fidèle aux préceptes de Candide et de
l’ Émile, je me retirai avec elles dans une petite ferme
de Kostheim pour vivre avec mes livres et ma charrue,
cultiver mon jardin, labourer ma terre, travailler en
paysan et penser en philosophe. J’avais eu une enfance
morne, sans autre occupation que l’étude du latin et
du français, et il semblait que ma vie d’adulte devait se
poursuivre d’un rythme égal, paisible et nonchalant.
Le flot du temps, pensais-je, me porterait du berceau à
la tombe. Mais les Moires s’en mêlèrent : le 14 juillet
1789, la Bastille fut décrénelée, et la tête de son gouverneur brandie au bout d’une pique. C’est ce jour-là,
à vingt-trois ans, que ma vie a enfin commencé.
Je pensais qu’avec la Révolution, l’idéal prêché par
Jean-Jacques se réaliserait. Les tyrans allaient succomber, les nations s’affranchir, et nous allions vivre
les très riches heures de l’Humanité. Avec quelques
hommes animés d’un amour ardent de la République,
je créai le club des Amis de la liberté et de l’égalité, et
posai ma candidature pour faire partie de la délégation
chargée d’annoncer la bonne nouvelle à Paris.
Le 30 mars 1793, nous étions devant la Convention
où Forster lut le décret par lequel Mayence se donnait
à la France ; le lendemain, je jurai aux Jacobins de vivre
en républicain ou de mourir ; le surlendemain, j’appris
que Mayence était encerclée par les troupes austro-prussiennes. Nous qui comptions rester deux ou trois
semaines, tout retour nous était désormais interdit. Or
nous n’avions rien : un habit, quelques chemises et une
indemnité journalière de dix-huit livres versée en assignats dévalués. Cette aumône, quoique modeste, nous
mettait à l’abri du besoin. Nous n’étions pas à plaindre ;
dans les rues, certains crevaient de faim.
Aux Jacobins, je ne manquai aucune des séances. La
désillusion fut rapide : ils n’avaient d’autre arme que
de calomnier les honnêtes gens pour les chasser et
les réduire à l’impuissance. À la Convention, c’était
presque pire : au lieu du palais de la Liberté que j’avais
imaginé, c’était celui des discordes et des déchirements. Seuls quelques hommes, Girondins pour la plupart, trouvaient grâce à mes yeux. L’amour ardent et
désintéressé de la République me rattachait à eux.Bientôt, ils furent proscrits, les uns emprisonnés, les
autres en fuite, et moi gagné par l’écœurement. Vêtu
comme un cultivateur, une cocarde tricolore au chapeau, j’allais me perdre, seul, dans le bois de Boulogne,
où je lisais et méditais. C’est au cours d’une de ces promenades, par un après-midi d’été, que je pris la résolution de me brûler la cervelle à la barre de la Convention. Ce sacrifice expiatoire, pensais-je, allait mettre un
terme aux
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