Tu montreras ma tête au peuple
de la pièce, Valazé dormait déjà
depuis plusieurs heures. Un drap recouvrait son corps.
Il avait froid.
Il nous faut, Monsieur, revenir un peu en arrière afin
que vous puissiez comprendre pourquoi ce pauvre
homme n’avait pu prendre part aux agapes en mêmetemps que ses compagnons d’infortune. Il nous faut
revenir à la veille, aux alentours de minuit, sous les
voûtes du palais de justice.
Il y avait déjà sept jours que durait le procès. Cela
peut paraître peu, c’était beaucoup à l’époque. La justice révolutionnaire était révolutionnaire avant d’être
justice. Les audiences étaient de simples formalités,
l’accusateur public redoutait que le glaive de la loi ne
rouille entre ses mains, les avocats, quand il y en avait,
se gardaient de prendre la défense de leurs clients, de
peur qu’on ne leur reprochât un manque de zèle républicain, et les jurés eux-mêmes n’étaient là que pour la
forme, terrifiés, s’ils faisaient preuve d’indulgence, de
comparaître à leur tour sur le banc des accusés. Il n’y
avait ni appel en cassation ni recours en grâce, il n’y
avait que la guillotine et la terreur. La guillotine qui
chaque jour coupait plus de têtes, la terreur qui frappait au hasard. Et pour le sortir de la terreur, pour éloigner le spectre du triangle d’acier, le peuple ne voyait
que la main de la Providence, une espèce de miracle
qu’il n’avait pas encore appris à nommer Thermidor.
Sept jours, c’était trop long pour la Montagne, pour
Robespierre, pour Saint-Just, pour Herman. Le peuple
allait finir par s’attendrir envers ces hommes dont, au
fond, on ne connaissait pas bien le crime. Il fallait en
finir, et rapidement. On ferma les débats, le jury rendit
son verdict, l’accusateur public son réquisitoire et la
sentence fut la même pour tous les accusés :
— La mort !
À ce mot prononcé par Fouquier-Tinville, les
condamnés se levèrent, s’indignèrent, poussèrent descris de rage et de consternation. Ceux qui s’attendaient
à être acquittés restaient incrédules. Fonfrède et Ducos,
qui avaient plus souvent voté avec la Montagne qu’avec
la Gironde, se jetèrent dans les bras l’un de l’autre ;
Mainvielle et Duprat, qui avaient sacrifié leur honneur
pour offrir Avignon à la France, qui, dans cette
conquête, avaient eu Antonelle, le président du jury,
pour allié, maudissaient les jurés ; Boileau lança son
chapeau en l’air et s’écria : « Je suis innocent, je suis
jacobin, je suis montagnard ! » ; Sillery, quant à lui, se
réjouissait : « C’est le plus beau jour de ma vie ! » ; seul
Vergniaud restait impassible, qui promenait un regard
dédaigneux sur ces vivants dont la mort cueillerait
jusqu’au nom, lui qui bientôt serait mort, mais dont le
nom resterait immortel, lui qui laisserait son empreinte
dans les siècles et dans les cieux.
Bientôt, le désordre atteint l’auditoire. Un jeune
homme se dirigea vers la porte et, se couvrant les yeux
des deux mains, s’écria : « Laissez-moi fuir ! Laissez-moi
me dérober à la vue de ces malheureux ! C’est ma
faute, c’est mon livre qui les a tués ! » La foule le retint.
Elle semblait lui dire : Regarde la conséquence de tes actes ;
regarde ces hommes que tu envoies à l’échafaud ; regarde et
souviens-toi, car dans six mois ton tour viendra. Cet homme,
c’était le procureur de la Lanterne, Camille Desmoulins. Son Brissot dévoilé avait servi de fondement à l’acte
d’accusation. Il voulait échapper à ce spectacle déchirant ; on l’obligea à rester.
Certains condamnés jetèrent leurs assignats. On a dit
qu’ils cherchaient par ce geste à corrompre la foule,
qu’ils l’exhortaient à se soulever. C’était mal connaîtreces hommes. Dignes représentants du peuple, ils lui
léguaient simplement une monnaie qui leur était
devenue inutile. En quoi ces morceaux de papier
auraient-ils pu leur être d’un quelconque secours, une
fois leur tête dans le panier du bourreau ? À couvrir les
frais de leur enterrement ? La République s’en occuperait : une fosse commune, quelques pelletées de terre,
et c’est tout.
Profitant du tumulte, un homme sortit de ses vêtements un stylet qu’il était parvenu à dissimuler. Il aurait
pu en faire usage contre un des gendarmes, le poignarder, provoquer une émeute et tenter de s’enfuir. Il
préféra le tourner contre lui pour s’effondrer dans les
bras de Brissot : « Hé
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