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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François-Henri Désérable
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dura pas longtemps. Il semblait fuir
devant elle. Chaque pas des chevaux la rapprochait de
la mort, mais elle restait d’un calme absolu, comme si
ce voyage n’avait d’autre but que de rendre visite à une
vieille amie. Ce n’était qu’une illusion ; sous la chemise,
ses seins se soulevaient à une cadence de plus en plus
soutenue : à mesure qu’on approchait, sa respiration
s’accélérait. Quand la charrette eut atteint la place de
la Révolution, le soleil revint. Au pied de l’échafaud,
Charlotte descendit, fière, intrépide, le front paisible,
le regard serein. Au moment où le bourreau lui arracha
son fichu, sa pudeur en souffrit. Elle avança d’elle-même au-devant de la mort. Un huissier céleste
appliqua les scellés sur mon cœur : je sus, dès cet instant, que personne au monde jamais plus n’y entrerait.

    *

    J’errai ensuite une heure ou deux dans les rues de
Paris, et observai avec amertume la nouvelle trinité
gravée dans le marbre des édifices : Liberté, Égalité,
Fraternité. Il y a encore quelques mois, je frémissais de
bonheur en prononçant ces trois mots que la Terreur a
désormais effacés des frontons. L’arbre de la Liberté
plie, mais ne rompt pas. La République est immortelle ;
j’ai confiance : elle renaîtra.

    Le soir de la mort de Charlotte, je descendis à l’hôtel
de la Providence, au numéro 19 de la rue des Vieux-Augustins, et demandai la chambre où elle avait
séjourné. Je voulais dormir dans le lit sur lequel son
corps sublime s’était allongé, me vautrer dans les drapsqui avaient recouvert sa chaste nudité. Peut-être, espérais-je alors, les fragrances de son parfum ne s’étaient-elles pas encore estompées. C’est une femme, une
dame Grollier, qui m’accueillit.

    — Et pourquoi c’est-y la chambre de cette scélérate
que tu veux, citoyen ?

    — Peu importe puisque je t’offre ma montre.

    Elle considéra longuement l’objet, le rangea dans
son tablier. C’était d’accord. Mieux valait ça qu’être
payé en assignats. Avant de monter, je lui demandai
une bouteille de vin. Arrivé dans la chambre, je m’assis,
ouvris la bouteille et en bus la moitié.

    Charlotte habitait mes pensées. Je rédigeai alors son
panégyrique dans une douce frénésie. Là où il m’avait
fallu près de trois semaines pour venir péniblement à
bout de mon Avis , quelques heures me suffirent pour
écrire l’ Éloge dans une langue élégante nonobstant mes
lacunes en français. Un détail qui n’a pas échappé au
président Dumas : « Tout porte à croire, m’a-t-il dit
tout à l’heure, lors du procès, que vous avez été le
rédacteur de la brochure et que d’autres l’ont limée. »
Il avait raison, mais j’ai refusé de donner des noms.
Comment, en effet, expliquer que mon français se fût
amélioré à ce point en l’espace de quelques jours ?
« J’ai lu des livres », répondis-je simplement.

    L’explication est plus banale : je suis allé trouver un
poète dont la beauté des vers n’a d’égale que la haine
des tyrans et je lui ai demandé de corriger mes écrits. Il
accepta sous couvert de l’anonymat, et quelques heures
plus tard me rendit la copie. Puis un imprimeur clandestin, peu regardant sur le contenu de ma prose,consentit à m’aider. Il refusa d’être payé en assignats –
« Tous des faux, ils sont fabriqués en Angleterre. » Il
n’était pas magnanime, simplement clairvoyant –
« Rien ne vaut un peu d’or, c’est moi qui vous le dis ! »
Alors je lui laissai ma bague, seul luxe qui me restât.
Pour avoir prêté son concours à la publication d’écrits
séditieux, il pourrait se retrouver sous la lame de la
guillotine. Peu lui importait : « Je fais pas de politique,
me dit-il. Pour moi la Gironde, la Montagne ou la
Plaine, c’est du pareil au même. Tout ce que je veux,
c’est mettre de la farine dans ma besace et un peu d’argent dans mon gousset. Or c’est pas ces messieurs de la
Convention qui vont le faire à ma place, c’est moi qui
vous le dis ! » Si c’est lui qui le disait... Le soir même,
devant l’Assemblée, je distribuai mes brochures imprimées en tête de clou sur du papier à chandelle. Sans ce
poète et cet imprimeur courageux dont je tairai les
noms – j’aurais bien trop peur de les compromettre
en les citant dans cette lettre –, il m’eût été impossible
de mener ce projet à exécution. Si l’histoire ne leur
rendra pas hommage,

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