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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François-Henri Désérable
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dit-il.
Et ce frère d’alliance, qui bientôt le rejoindrait dans
l’autre monde, tentait de le consoler : « Au moins, nous
mourons ensemble ! »

    Le chant funèbre perdait son intensité, pas sa
vigueur. Ils n’étaient plus que six – Gensonné, Mainvielle, Fonfrède, Duchastel, Vergniaud et Vigée. Et les
six usaient leurs dernières forces dans les paroles de La
Marseillaise , paroles somptueuses desquelles ils puisaient l’énergie d’aller mourir. Gensonné, au moment
de monter sur l’échafaud, me chercha du regard. Il ne
trouva que mes yeux rougis de larmes.

    Bientôt, il n’en resta plus que deux. On a souvent
affirmé que Vergniaud eut l’honneur de passer sur la
planche en dernier. Comme je l’ai déjà dit, c’était le
chef naturel des Girondins et il eût été dans l’ordre des
choses qu’il restât en vie jusqu’à la fin du funeste spectacle, le cérémonial de l’assassinat judiciaire assignant
de coutume la dernière place au plus coupable des
accusés, c’est-à-dire, aux yeux du tribunal, à celui qui
était à la tête de sa faction. Le bourreau, d’ailleurs, ne
s’y tromperait pas quelques mois plus tard, qui laisserait
à Hébert puis Danton les égards du dernier supplicié.

    Et pourtant, ce jour-là, c’est avec Vigée, et non Vergniaud, que le sacrifice allait s’achever. Il fut le vingtième à passer sur la planche. Il chantait encore sur labascule. Contre nous de la tyrannie, l’étendard sanglant est
levé ! Le couteau tomba ; le silence aussi.

    Comprenez, Monsieur, que ce silence fit la plus
grande impression sur mon âme. C’était le 31 octobre
1793, dixième jour du deuxième mois de l’an II de la
République. Il était onze heures et demie. En un demi-tour de cadran, la Révolution avait achevé de dévorer
ses propres enfants.

    Je suis un vieil homme. J’ai vu les années défiler, les
régimes se succéder. J’ai vu disparaître la Royauté et
naître la République, j’ai connu l’Empire et la Restauration, j’ai vécu les Cent-Jours et le retour des Bourbons. Dix fois j’ai porté les yeux sur l’échafaudage de la
guillotine, cent fois j’ai entendu le fracas de la lame
libérée par le bourreau, mille fois j’ai humé l’odeur du
sang fraîchement versé. Mais jamais plus, Monsieur,
jamais plus je n’ai vu des hommes braver la mort avec
tant de courage.

 
    ELLE AVAIT ROUGI
     

    Longtemps, j’ai été amoureux d’une fille qui préférait mon meilleur ami. Elle s’appelle Justine et elle descend en ligne directe de Philippe-François-Nazaire
Fabre, plus connu sous le nom de Fabre d’Églantine,
ce poète aujourd’hui oublié à qui l’on doit un tube que
toute l’Europe fredonna au XIX e siècle – « Il pleut, il
pleut bergère » – et la dénomination des mois du calendrier révolutionnaire.

    Souvent, j’allais chez Justine, rue Mozart, à Paris, avec
le secret espoir de la séduire. En vain : je l’ai aimée, elle
m’a aimé, mais pas en même temps. Jamais notre
amour, qui avait débuté sur les bancs d’une faculté de
droit, ne fut synallagmatique. Bah ! Au moins cette passion inassouvie m’aura-t-elle permis de découvrir celle,
sublime, forcément tragique, d’un homme pour une
femme sous la Révolution. L’homme s’appelait Adam
Lux, la femme Charlotte Corday. Si je connaissais
vaguement la seconde (elle avait tué un type dans une
baignoire que j’avais vue au musée Grévin), jamais je
n’avais entendu parler du premier. Et c’est lors d’unaprès-midi chez Justine, entre deux tentatives de baisers
avortées, que j’appris qui il était.

    Jacques Fabre d’Églantine, le père de Justine, collectionnait tout ce qui pouvait se rapporter de près ou
de loin à son glorieux aïeul. Parmi cette riche collection se trouvait une lettre de dix-sept pages jaunies par
le temps. Dix-sept pages qui s’étaient retrouvées, nul
ne sait comment, entre les mains du poète révolutionnaire pour finir, par le jeu des successions, dans celles
du père de mon amie. Dix-sept pages d’une écriture
fine et compassée, rédigées en allemand par Adam
Lux, député extraordinaire de Mayence tombé amoureux de Charlotte Corday après qu’il l’eut aperçue sur
la charrette qui la menait à l’échafaud. Dix-sept pages
absolument bouleversantes datées du 4 novembre
1793, le jour où Lux fut lui-même envoyé sous la lame
du « rasoir national ».

    Cette lettre, testament d’un homme qui

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