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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François-Henri Désérable
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le
sang versé ne retombe pas sur la France ?

    Saurai-je garder l’ironie froide de Ducos devant la
guillotine avec ses amis, et qui dit encore à Fonfrède :
« Quel dommage que la Convention n’ait pas décrété
l’unité de nos vies et l’indivisibilité de nos têtes » ?

    Ou partagerai-je l’amertume de Madame Roland,
cette salope chaste dont les yeux se fixèrent sur la
statue de la Liberté qu’elle interpella tragiquement :
« Ô Liberté, comme on t’a jouée » ?

    Je le saurai bientôt. Les charrettes tournent dans la
rue Royale. Au loin, j’aperçois deux poutres encadrant
le triangle d’acier... La guillotine. On raconte qu’en
arrivant place de la Révolution, la meurtrière de Marat
se serait penchée en avant pour mieux la regarder :
« J’ai bien le droit d’être curieuse, dit-elle. Je n’en avais
jamais vu ! »

    Les rayons du soleil percent les feuilles des arbres et
rougissent le ciel. Ce soleil, à Arcis, il m’arrivait de le
braver par défi. Il va bientôt se coucher et je vais me
coucher avec lui. Demain, il se lèvera à nouveau. Je resterai couché.

    *

    On descend des charrettes. Je pense à ma pauvre
mère qui va longtemps me pleurer, à Madeleine, ma
sœur, à mes deux fils, Antoine et François, que je ne
reverrai plus et à celui que porte Louise, que je ne
connaîtrai pas. Louise... Une sylphide au port de tête
insolent, aux prunelles énigmatiques, au nez défiant,
aux cheveux impétueux. C’est elle qui, après la mort
de Gabrielle, m’a ramené à la vie. Elle n’avait que seize
ans quand je l’ai épousée. Je la laisse veuve à dix-huit.
Pour elle, qui était pieuse, je consentis à me marier
devant un prêtre réfractaire, l’abbé de Kéravenant.
Depuis tout à l’heure, ce brave abbé suit les charrettes
pour me donner l’absolution. Ma pauvre Louise ! Que
vas-tu devenir sans ton Georges ? Je ne passerai plus
ma main dans tes longs cheveux bruns, soyeux. Je ne
me perdrai plus dans le blanc de tes yeux bleus. Plus
jamais, je ne dégraferai ton corset. Louise, Louise !
Pour toi, j’ai voulu tout abandonner. J’étais parfois si
las de la politique, du pouvoir, de tout ce qui m’entourait à Paris, qu’il n’eût pas fallu qu’un nouvel Hégésias
me fît un long sermon sur les misères de la vie humaine
pour me déterminer à me laisser mourir de faim. Je
n’aspirais plus qu’à passer de longs moments avec toi,dans l’air vif de Sèvres, de Choisy, d’Arcis, heureux
comme le patriote satisfait d’avoir planté l’arbre de la
Liberté et qui s’en va, loin des orages politiques, se
reposer sous son ombrage. Arcis... J’y ai vécu mes premières années, tantôt à gambader dans la glèbe, dans
les bois, dans les champs, tantôt à barboter dans l’Aube.
J’y ai surtout fait l’école buissonnière : je n’avais pas
de père pour me rappeler à l’ordre. Peut-être était-ce mieux ainsi. Eût-il vécu, mon père se fût couché
sur moi de tout son long et m’eût écrasé. Par chance,
je n’avais pas trois ans quand il est mort. Alors, j’ai pu
m’amuser...

    Puis ce fut le petit séminaire de Troyes, la pension
chez les Oratoriens, les premières lectures – Rabelais, Montaigne, Molière. Puis Paris, le droit – comme
Démosthène, comme Cicéron, comme feu mon père –,
l’apprentissage de la procédure chez le procureur
Vinot, la licence à Reims, le retour à Paris, les parties
de domino à l’hôtel de la Modestie, les livres, toujours
– Voltaire, Rousseau, Ovide, Beccaria –, et la charge
d’avocat aux conseils. 1789, la Révolution éclate : je
m’y suis lancé comme dans un champ où je pourrais moissonner à mon aise. Je ne pensais pas, alors,
qu’avec la moisson ce sont nos têtes qui finiraient par
être fauchées. J’ai envie de pleurer. Danton, point de
faiblesse ! Je ravale mes larmes. L’échafaud nous
attend.

    C’est à Disderiscksen, le valet des Frey, que revient
l’insigne honneur d’éternuer dans le sac en premier.
Sanson fait ça rapidement : claquement de la planche
à bascule, fermeture de la lunette, et la tête qui tombeau fond du panier. Clic ! Clac ! Boum ! Il faut dire qu’il
commence à en avoir l’habitude, le barbier national,
l’exécuteur des hautes œuvres, depuis que la Constituante a décrété que tout condamné à mort aurait
la tête tranchée. Fini la hache pour les nobles et la
potence pour les pauvres ! Tout le monde la tête dans
le même

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