Tu montreras ma tête au peuple
jeune
fille se fût endormie. Quand elle se réveilla, elle trouva
un Lantenac songeur.
— J’ai bien réfléchi, dit le marquis. Et je ne saurais accepter votre proposition car j’y perdrais mon
honneur.
— L’honneur d’un homme vaut-il la vie d’une jeune
fille ?
Il fit une pause, respira longuement et, désignant
Halmalo, dit :
— Il y a là-bas un paysan qui s’est battu à mes côtés
contre les Bleus, en Vendée. Il est jeune, beau, vigoureux. Je lui en ai parlé ; il a donné son accord. Il vous
attendra demain soir. Pour le moment, retournez vous
coucher.
Le vieil homme de la veille était là, avec ce silence
fiévreux, cet enjouement sombre, ces manières tour à
tour arrogantes et obliques. Il avait tout entendu. Qui
était-il ? Que voulait-il ? Pourquoi diable lui avait-on
donné un laissez-passer afin qu’il puisse entrer et sortir
de la Conciergerie à sa guise ? Je ne tarderais pas à l’apprendre.
*
Le troisième jour au matin, la jeune fille vint à nouveau trouver Lantenac :
— Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, lui dit-elle.
— Moi non plus.
— Quand la chose pourra-t-elle se faire ?
— Il faut attendre que la nuit tombe et que tombe
avec elle la vigilance des gardiens. Et puis il faudra soudoyer l’un d’entre eux, qu’il consente à ouvrir cette
porte afin que vous puissiez nous rejoindre ici, dans
cette chapelle.
Leur conversation ne m’avait pas échappé, Lantenac
le savait. Il était nécessaire, pour la réussite de leur
entreprise, que j’acceptasse de donner un tour de clef.
Aussi le marquis me chercha du regard et, d’un signe
de tête, je lui fis part de mon consentement implicite.
J’avais pour consigne de surveiller un vieil homme
privé de sa liberté, pas d’empêcher une jeune fille de
recouvrer la sienne.
Rendez-vous fut donc pris pour le soir, quand les gardiens somnoleraient et que, seul, je resterais avec les
prisonniers. Dans l’attente d’un événement comme
celui qu’allait vivre la jeune fille, les minutes semblent
des heures et les heures s’étirent à l’infini. Toute la
journée, je la vis qui piaffait, tournait en rond, portait
la main à sa poitrine comme si elle eût voulu mesurer
le temps aux battements de son cœur. J’étais moi-même troublé et me donnai du courage en vidant la
moitié d’une bouteille de vin.
Quand la nuit fut tombée, Halmalo était prêt, et lajeune fille aussi. Elle frappa à la porte, je lui ouvris.
Vêtue d’un caraco en toile de Jouy, elle rejoignit directement la couche d’Halmalo, s’allongea sur le dos, prit
appui sur ses jambes pour relever son bassin et se
débarrasser, d’un geste brusque, presque enfantin,
des oripeaux de la pudeur. Puis elle ferma les yeux et
se laissa faire. Le marquis lui serrait la main comme
on serre la main d’un mourant ; Halmalo, le regard
exalté, l’émotion dans ses braies, s’enfonça d’un coup
brusque, arrachant un cri à la jeune fille qui souffrait
mais se laissait faire de bonne grâce, car c’était là, par
ce con encore vierge que pendant des années elle avait
préservé, réservé pour un autre, un autre qu’elle eût
voulu jeune et beau comme ce paysan qui la troussait
aujourd’hui, mais qu’elle eût souhaité noble et non
roturier, seigneur plutôt que serf, maître et non serviteur – or en ces temps agités on n’avait pas toujours le
choix, on n’était plus maître de rien, ni de ses rêves ni
de son destin, et son destin à elle passait par ce trou
béant dans lequel elle consentait que s’enfonce un
jeune et beau paysan, car c’était là son unique planche
de salut.
Le jeune et beau paysan retrouvait la fureur de sa
caste. Pas plus qu’on ne lui avait appris à lire, on ne lui
avait appris les délices de l’amour, les vertus de la tendresse. Il savait choquer une écoute, étarquer un cordage, manier la faux, la bêche et la houe, la faucille et
le fléau ; c’est tout. Les gourgandines qui l’avaient initié
à la chose dans la forêt de Paimpont, pleine de ravines
et de ruisseaux, il les avait foutues à la va-vite, contre
un arbre, le visage tordu par un méchant sourire, lechaperon sur la tête et les braies baissées jusqu’aux
genoux.
Il ne savait pas faire autrement, il ne pouvait concevoir que la chose pût se faire autrement, fût-ce dans
l’antichambre de la guillotine où le sang se mêlait aux
poils de la jeune fille qu’il tenait d’une main par la
taille,
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