Tu montreras ma tête au peuple
sous la langue et pas
une obole pour Charon.
Mais vous n’êtes pas là pour un état des lieux. Alors
descendez maintenant. Descendez dans la chapelle de
la Conciergerie, là même où se tint le fameux banquet
des Girondins. Vous y êtes ? C’est bien. Regardez ce
haut vieillard droit et robuste, adossé contre le mur,
voyez sa figure sévère, ses cheveux blancs sur le front,
l’éclair qui luit dans son regard. Cet homme, c’est Lantenac. Lantenac : les syllabes claquent, et on frémit. Le
marquis de Lantenac, vicomte de Fontenay, prince
en Bretagne, seigneur des Sept-Forêts, lieutenant général des armées du roi. Vous ne le connaissez pas et
pourtant il fait partie de ces hommes qui ont écrit
les plus belles pages de l’Histoire, là où les autres, tous
les autres, ne laissent pas une seule ligne, ou s’ils en
laissent une elle est insignifiante. L’Histoire de France
se confond avec celle de la Vendée et l’histoire de la
Vendée avec celle de Lantenac.
Au printemps de 1793, la Vendée avait de la poudre,
il était temps qu’elle se trouve un chef, et un chef qui
fût en même temps un procureur. La Vieuville avait
raison : il fallait ennuyer l’ennemi, lui disputer le
moulin, le buisson, le fossé, le caillou, lui faire de mauvaises querelles, tirer parti de tout, veiller à tout, massacrer beaucoup, faire des exemples, n’avoir ni sommeil
ni pitié. Pour cela, on pouvait faire confiance à Lantenac. Il avait fait la guerre de Hanovre, et les soldats
disaient : Richelieu en dessus, Lantenac en dessous ;
c’est Lantenac qui a été le vrai général. Il était impitoyable, il faisait brûler les villages, achever les blessés,
massacrer les prisonniers, fusiller les femmes. Avec
Lantenac à leur tête, c’était certain, les Blancs finiraient par triompher des Bleus. On sait ce qu’il advint.
Il débarqua sur la côte bretonne dans un simple
canot après avoir réchappé au naufrage de la corvette Claymore . Il vit sonner le tocsin car il était hors la loi, et
sa tête mise à prix, en or, pas en assignats. Son but était
d’insurger tout, d’appuyer la Basse-Bretagne sur la
Basse-Normandie, d’ouvrir la porte à Pitt, de donnerun coup d’épaule à la grande armée vendéenne avec
vingt mille Anglais et deux cent mille paysans. Mais
face à lui se trouvait une armée envoyée de Paris, avec à
sa tête un ci-devant que Lantenac ne connaissait que
trop bien : son petit-neveu, le vicomte Gauvain. Ce
n’était plus seulement l’affrontement des Blancs contre
les Bleus, c’était celui du jeune contre le vieux, du
petit-neveu patriote contre le grand-oncle royaliste.
Lantenac faisait placarder des affiches : « Le marquis
de Lantenac a l’honneur d’informer son petit-neveu,
monsieur le vicomte Gauvin, que, si monsieur le marquis a la bonne fortune de se saisir de sa personne, il
fera bellement arquebuser monsieur le vicomte. » Et
Gauvain répliquait en une phrase : « Gauvain prévient
Lantenac que s’il le prend il le fera fusiller. » Gauvain
tenait la côte, repoussait Lantenac dans l’intérieur et
les Anglais dans la mer. Même en plus petit nombre, il
triomphait : à Dol, la déroute fut complète pour les six
mille royalistes surpris par l’audace de quinze cents
patriotes. De bataille en bataille, les Blancs se dispersèrent, et ils furent bientôt acculés, obligés de se cacher
dans la forêt de Fougères et, de là, gagner la Tourgue,
cette bastille de province où dix-neuf hommes dont
Lantenac furent assiégés par l’armée de Gauvain. On
sait comment ils s’enfuirent par une pierre qui tourne,
laissant derrière eux la Tourgue en feu, comment Lantenac revint pour sauver trois enfants pris dans la fournaise, comment il fut arrêté après son acte héroïque,
comment Gauvain, sacrifiant l’absolu révolutionnaire
pour l’absolu humain, le délivra, se substitua à lui dans
le cachot, fut guillotiné pour cela ; et l’on sait comment, le lendemain, Lantenac et les quelques hommes
qui lui étaient restés fidèles furent capturés dans une
clairière, ramenés sous escorte à Paris, condamnés à
mort puis transférés à la Conciergerie. Je ne vais pas
m’étendre là-dessus : depuis un demi-siècle, les historiens en font leurs choux gras. Tout cela est connu.
Voyez Lantenac, écoutez-le parler au jeune homme
assis à sa droite : il s’appelle Halmalo, il a environ
trente ans. Il a été paysan, faux saulnier, marin. Il a
voulu tuer le
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