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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François-Henri Désérable
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de l’esprit, devait poursuivre sa quête de savoir
jusqu’au dernier soupir, jusqu’à l’ultime répit.

    Devant l’échafaud, le plus grand esprit français du
siècle dernier continua de lire jusqu’à ce que son nom
fût appelé. Alors il sortit de sa poche un signet, le plaça
à la page où il avait arrêté sa lecture et, sans prononcer
une seule parole, posa sa tête sur le billot.

    Voilà, Monsieur, comment on meurt avec élégance.

 
    LANTENAC À LA CONCIERGERIE
     

    ( genèse de l’œuvre )
     

Cette histoire est vraie, puisque je l’ai inventée.
     

BORIS VIAN

     

    Et vous ai-je dit, Monsieur, que j’ai connu Lantenac ?
Comment ! Vous n’avez jamais entendu parler du marquis de Lantenac ? L’Histoire est bien étrange, mais
elle a tous les droits : des génies sont oubliés, des
imposteurs encensés. Lantenac n’était ni un génie ni
un imposteur. Mais c’était un grand homme. Un de
ceux à qui l’on donne volontiers du Monsieur en laissant traîner la première syllabe. Un de ceux dont on
oublie difficilement le nom, encore plus difficilement
le visage, et dont on se souvient, des années plus tard,
jusqu’au timbre de la voix. La première fois que j’entendis la voix de Lantenac, cette voix âpre, vive, terrible, c’était le 15 prairial de l’an II. La veille, on avait
fêté l’Être suprême au Champ-de-Mars ; bientôt, on
immolerait son prophète place de la Révolution. J’étais
gardien de prison, et Lantenac mon prisonnier. Je dis mon prisonnier car on m’avait affecté exclusivement à
sa garde : quoi qu’il fît, où qu’il allât, je devais ne pas le
perdre de vue un seul instant. On craignait qu’il ne
s’évade, ou plutôt qu’on ne le fît évader, et j’avais pour
consigne de l’occire avant qu’il pût respirer à nouveau l’air de la liberté. Ainsi passai-je sept jours et sept
nuits l’espingole au poing, à vivre avec lui, comme lui.
Voulez-vous entendre le récit de ces sept jours, de ces
sept nuits ? Bien. Alors suivez-moi, Monsieur, suivez-moi en esprit dans la Conciergerie.

    *

    Écoutez les chevaux qui hennissent dans la chaleur
de prairial, leurs sabots qui claquent sur le pavé du
quai de l’Horloge, l’incessant clapotis des rames sur
la Seine. Quittez le fleuve du regard, pivotez la tête
à droite et levez les yeux au ciel. Vous voyez la tour
crénelée, avec sa poivrière en ardoise ? C’est la tour
Bonbec. Les prisonniers, sous l’ancien régime, y étaient
soumis à la question. Et puis voici la tour d’Argent, la
tour de César, la tour de l’Horloge. Tournez à droite,
sur le boulevard du Palais, faites arrêter le carrosse
dans l’angle nord de la cour du Mai, descendez-y en
prenant garde de ne pas crotter vos bottes – vous êtes
un gentilhomme –, fouillez vos poches, sortez-en le
laissez-passer. Donnez-le au porte-clefs édenté, crânement campé devant le guichet, patientez pendant qu’il
le lit et vous toise, le déchiffre et vous dévisage. Il vous
fait signe d’entrer ? Courbez l’échine – d’autres se sont
brisé le crâne contre la pièce de traverse – et faites unpas en avant. La porte, basse, étroite, presque enfoncée
sous terre, se referme bruyamment, vous tressaillez en
entendant le bruit du verrou. Voilà, vous y êtes. Ou
presque. Encore quelques mètres. Passez devant le
greffe, le bureau du concierge, la salle de toilette : vous
êtes là en visite, on vous fait grâce de l’inscription sur le
registre d’écrou, du rapiotage, de la coupe à la victime.
Allez, n’ayez pas peur, entrez dans la souricière . Ça y est.
Les cachots sont là, à droite, à gauche, il y en a partout.
Vous sentez la puanteur, le renfermé, la crasse, la
merde, le fumier, le souffle intact de la mort ? Inspirez
un grand coup, si le cœur vous en dit. L’air est à vous,
aux rats et aux vermines. Voyez ces cellules où les prisonniers sont cinq, parfois six ou sept, allongés sur
des lits à sangle, dans le froid, l’humidité, l’obscurité
la plus totale. Il est encore tôt, ils dorment. Leur sort
vous rebute ? Ceux-là ne sont pourtant pas les plus à
plaindre. Ils ont un lit et c’est un luxe qu’ils ont payé :
la sacro-sainte égalité de la Révolution s’arrête aux
portes des prisons. Les autres, les pailleux parce qu’ils
dorment à même la paille, s’entassent par dizaines
à même la paille, chient à même la paille, crèvent à
même la paille, avec de la paille

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