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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François-Henri Désérable
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marquis après qu’il eut décoré son frère
de la croix de Saint-Louis parce qu’il avait été courageux puis fait fusiller parce qu’il avait manqué à son
devoir. Il a voulu le tuer, mais il ne l’a pas fait, parce
qu’il croit en Dieu, notre Père qui est au ciel, et parce
qu’il croit qu’on doit obéissance à Dieu, et puis au roi
qui est comme Dieu, et puis au seigneur qui est comme
le roi. Or Lantenac était son seigneur, son maître. En
perdant l’âme du marquis, il aurait perdu la sienne.
Tuer Lantenac, c’était être pour les régicides contre
le trône, pour les impies contre l’Église. Il n’avait pu
s’y résoudre, alors il s’est battu à ses côtés, et c’est
ensemble qu’ils se sont fait prendre, ensemble qu’ils
ont comparu devant le tribunal révolutionnaire,
ensemble qu’ils ont été condamnés. Et c’est encore
ensemble qu’ils attendent maintenant de comparaître
devant le Juge éternel, le seul dont ils reconnaissent la
légitimité.

    Vous les entendez qui murmurent ? Maintenant,
tournez la tête. Et dans la pénombre, assis sur un
tabouret, regardez le vieil homme de taille médiocre,
effacé, avec sa houppelande couleur de fumée d’enfer etson chapeau à trois cornes, regardez-le qui les observe
en silence. Vous le voyez ? C’est bien. J’y reviendrai.

    *

    Outre Lantenac et Halmalo, il y avait à la Conciergerie une jeune fille belle, noble, impudente – en un
mot : coupable. Son père, sa mère, son frère avaient
été massacrés en septembre, quand le peuple, ivre de
justice, d’eau-de-vie et de mort, s’avisa de nettoyer les
prisons par le sang. La jeune fille, qui par miracle avait
échappé à la purge, se cacha dans un grenier pendant
près d’une année avant d’être attrapée, puis traduite
devant trois Savonarole portant gravement chapeau
à cocarde, manteau d’audience, ruban tricolore et
lourde médaille d’argent, qui la tinrent coupable de
conspirer contre la liberté. Depuis, elle semblait
attendre docilement qu’on vînt la chercher bien
qu’elle refusât l’idée de la mort. La chapelle dans
laquelle était gardé Lantenac attenait à la cour des
femmes , où les détenues, soucieuses de conserver une
mise élégante, lavaient leur linge à la fontaine, y faisant
même leur toilette après avoir passé la nuit sur un
simple grabat. Aussi le marquis pouvait-il communiquer avec elles à travers les barreaux de sa fenêtre.
C’est la jeune fille qui, de son propre chef, vint le
trouver.

    — J’ai dix-sept ans, lui dit-elle. Je n’ai commis
d’autre crime que ma naissance. J’exige de vivre.

    — Adressez-vous au bureau des requêtes, fit le marquis. Ils vous répondront dans les meilleurs délais.

    — Vous vous gaussez de ma situation, monsieur ?

    — En effet, mademoiselle. Dans l’état où nous
sommes, seule la plaisanterie peut encore nous sauver.
Cela dit, il y a peut-être un moyen pour vous de vivre.

    — Je crains, monsieur, qu’il n’y ait guère d’échappatoire. On ne sort d’ici que pour aller à l’échafaud.

    — La Révolution est terrible, mais au moins les
séides de Robespierre n’ôtent pas la vie à qui va la
donner.

    — Vous voulez dire que...?

    — Je veux dire, mademoiselle, que la lame de la
guillotine frappe tout le monde, fors les femmes
enceintes.

    — Or je ne le suis pas.

    — Il ne tient qu’à vous de l’être.

    — Monsieur, vous m’offensez. Je n’ai point d’époux,
comment pourrais-je attendre un enfant ?

    — Oh, vous savez, nul besoin de convoler en justes
noces pour ces choses-là. Si les circonstances l’exigent,
en cas d’impérieuse nécessité, il n’y a guère de honte à
sacrifier sa vertu pour sauver sa vie.

    — Monsieur !

    — Qu’y a-t-il, mademoiselle ? Vous n’avez jamais
connu les plaisirs de la chair ?

    — J’ignore jusqu’à ses mécanismes.

    — Alors je ne peux rien pour vous.

    — Peut-être que...

    — Oui ?

    — Vous pourriez... m’initier  ?

    — Vous souhaitez que je...?

    — Oui.

    — Non, mademoiselle.

    — Promettez-moi d’y penser.

    — Ma réponse est définitive.

    — Alors je vais mourir.

    Puis elle posa sa tête contre le rebord de la fenêtre et
se mit à pleurer tandis que le marquis, du revers de la
main, séchait les larmes qui naissaient sur sa joue. Un
père consolant sa fille n’y eût pas mis plus de tendresse.
Deux heures passèrent ainsi jusqu’à ce que la

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