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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François-Henri Désérable
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puéril, c’était indigne de mon
grand âge. C’était jouissif. Je ne peux m’empêcher
d’esquisser un sourire en pensant à la tête qu’a dû faire
la vieille dame quand son fils, touchant dans sa naïveté,
lui transmit les respectueux hommages d’un Monsieur
Halmalo qu’il avait rencontré lors d’un bal chez les
Morcef. Un empire, oui, j’aurais donné un empire
pour me trouver dans son salon ce jour-là !

    Mais revenons sur l’île de la Cité où, le quatrième
jour, le vieil homme s’était à nouveau présenté. Arrivé
avant l’aube, il s’était éclipsé à la tombée de la nuit. Je
brûlais de connaître son nom, mais on m’avait défendu
de lui adresser la parole, sous peine d’en être moi-même définitivement privé. L’homme étant un taiseux,
je ne pouvais que formuler des hypothèses dont je faisais part à un autre gardien qui se soûlait comme un
Prussien, à tel point qu’il lui arrivait parfois de ne plus
se rappeler le prénom de sa femme et que, par conséquent, l’identité de notre hôte laissait indifférent – « ça
m’en touche une, disait-il, sans faire bouger l’autre ! ».

    Or s’il n’était pas le cordonnier Simon, qui était-il
alors ? Le concierge Richard ? C’était inconcevable.
Leurs traits se ressemblaient, c’est vrai, mais le vieil
homme, justement, était bien plus vieux que le gouverneur à l’humeur versatile qui avait dû quitter les lieux
après la conspiration de l’œillet. Et si on l’avait libéré
depuis, il préférait se faire oublier, laissant son successeur s’occuper de la maison . Alors qui ? Brotteaux des
Ilettes, ci-devant noble à qui la Révolution avait supprimé ses offices, ses rentes, son hôtel, ses terres, son
nom, et qui, pour survivre, en était réduit à sculpter
des pantins ? Ils avaient à peu près le même âge, ou
plutôt la même silhouette sans âge, le même visage
craintif, offensé. Et pourtant, le vieil homme ne pouvait être le citoyen Brotteaux : la guillotine l’avait déjà
rappelé à Dieu, lui et son Lucrèce, comme elle avait
rappelé le même jour le barnabite Longuemare et
Athénaïs, la naïve fille de joie qui criait « Vive le roi ! ».

    *

    Le cinquième jour, l’angélus du soir n’avait pas
encore sonné – les païens s’étaient empressés de
fondre les cloches pour en faire des canons – quand un
événement imprévu s’en vint rompre la cadence monotone des journées en prison. Lantenac lisait, Halmalo
rêvait, et le vieil homme, toujours là, les observait en
silence. Alors entra Évariste Gamelin, que je reconnus
pour avoir déjà vu ses joues pâles, ses yeux sombres
et ardents, ses cheveux noirs tombant à flots sur de
larges épaules. Peintre raté, élève de David, précepte
de Robespierre, Gamelin était juré au tribunal révolutionnaire depuis l’assassinat de Marat.

    On ne répétera jamais assez combien il faut se méfier
des artistes médiocres, des plumitifs besogneux, desMarsyas déchus, barbouilleurs vulgaires qui délaissent
leur plume, leur lyre ou leur pinceau pour se mêler de
la chose publique. Revêches et revanchards, ils bâtissent
une œuvre sur des monceaux de cadavres, à l’encre ou
à la peinture rouge, rouge sang. Tels étaient Billaud-Varenne, Carnot, Prieur, Couthon, Fabre, Collot ; tel
était Gamelin.

    Gamelin avait peut-être trente ans. Sa place au tribunal, il la devait à Louise Masché de Rochemaure,
une aristocrate qui semblait avoir adhéré aux principes
nouveaux jusqu’à ce qu’on découvre, stupéfait, qu’elle
entretenait une correspondance avec l’étranger. Élevant l’ingratitude à un degré encore inégalé, Gamelin
vota sa mort, comme il voterait, plus tard, celle de Lantenac. Mais ce n’est pas le chef de la Vendée qu’il était
venu voir ce soir-là. S’il cherchait bien un vieil homme,
ce vieil homme portait houppelande et chapeau à trois
cornes.

    — Ah, te voilà enfin citoyen peintre ! Je te cherche
dans tout Paris depuis deux jours. On m’a dit que tu
étais peut-être à la Conciergerie.

    — On t’a bien informé. Que me veux-tu, citoyen ?

    — Je m’appelle Évariste Gamelin et je suis juré au
tribunal révolutionnaire.

    — Je le sais. Tout le monde connaît les jurés du tribunal.

    — J’ai été l’élève de David.

    — Je le sais aussi. Tout le monde connaît les élèves
de David.

    — Justement. Il y a des semaines que je ne peins
plus. Les activités

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