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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François-Henri Désérable
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du tribunal accaparent tout montemps. Mais le jour est proche où la République triomphante montrera sa clémence et ce jour là – béni soit-il ! – je reprendrai mes pinceaux. Alors, bien sûr, ce
jour n’est pas encore arrivé. L’heure est à la Terreur,
salutaire : l’année passée, à pareille époque, la République était déchirée par les factions ; l’hydre du fédéralisme menaçait de la dévorer. Maintenant, l’unité
jacobine étend sur l’empire sa force et sa sagesse. Mais
pourquoi faut-il que l’audace des conspirateurs grandisse à mesure que la République croît en force et que
les traîtres s’étudient à frapper dans l’ombre la patrie,
alors qu’elle foudroie les ennemis qui l’attaquent à
découvert ?

    — Tu me cherches depuis deux jours pour me
parler du salut de la République ?

    — Non, je m’égare. Si je suis venu te trouver, c’est
pour te parler de peinture.

    Gamelin avait sur l’art des idées bien arrêtées : il prônait le retour à l’antique, à la simplicité, aux fresques
d’Herculanum, aux bas-reliefs romains. Il haïssait le XVIII e , avec ses idylles galantes, ses couleurs pastel, ses
formes incurvées ; il poursuivait d’une haine inextinguible les dignes représentants de ce mouvement qui,
selon lui, ne laissait nulle part la place à la nature et
à la vérité : « La postérité, disait-il, méprisera leurs
frivoles ouvrages. Dans cent ans, tous les tableaux de
Watteau auront péri dans les greniers ; les étudiants
en peinture recouvriront de leurs ébauches les toiles
de Boucher. » Quant à Fragonard, ce misérable vieillard qu’il avait rencontré trottinant sous les arcades
du Palais-Égalité, poudré, galant, frétillant, égrillard,hideux, il l’eût volontiers fait enfermer à double tour,
ce qui, reconnaissons-le, n’eût pas manqué de sel pour
le peintre du Verrou .

    Pour dire vrai, un seul homme trouvait grâce aux
yeux du peintre juré. Et c’est cet homme qu’il était
venu voir à la Conciergerie ce soir-là.

    — De peinture ?

    — Oui. J’ai débuté un Oreste que sa sœur soulève
sur son lit de douleur. Certaines parties sont à peu près
terminées.

    — Un Oreste ? En écho à mon Électre  ?

    — En effet. Me ferais-tu l’honneur, citoyen peintre,
de passer chez moi pour me donner ton avis ? J’habite
sur le côté du quai de l’Horloge.

    — Peut-être, oui... Quand j’en aurai terminé ici...

    — Justement, que fais-tu là, dans cette sinistre prison
où s’entassent les traîtres à la Nation ?

    — J’honore une commande.

    — Une commande ?

    — Du Comité de salut public.

    — Que vas-tu peindre ?

    — Un détenu.

    — Un détenu ?

    — Oui. Un détenu.

    — Et peut-on savoir qui est assez terrible pour être
peint par Corentin sur demande du Comité ?

    Alors, pointant son doigt vers l’autre bout de la pièce,
Corentin – puisque c’est de lui qu’il s’agissait, Monsieur,
Corentin ! – désigna son modèle, et le modèle fit un pas
en avant, jaillissant de la pénombre pour offrir son
visage à la vue d’un Gamelin soudain blême.

    — Lantenac ! murmura le juré pour lui-même.

    — Monsieur le marquis de Lantenac, répondit le
vieil homme qui avait l’ouïe fine et l’orgueil des
princes.

    — Ci-devant marquis, répliqua Gamelin qui reprenait ses esprits. Que fais-tu encore ici ? Sanson ne t’a
pas encore raccourci comme ton roi et sa grue d’Autrichienne ?

    — Je jure sur mon honneur et sur celui de l’enfant
du Temple que si j’avais une épée entre les mains, je te
percerais le ventre de part en part.

    — Mais tu n’en as pas et c’est toi qui vas mourir sous
la lame de la guillotine.

    — C’est vrai. Je vais faire connaissance avec l’enfant
illégitime que Robespierre a fait à la France. Quand on
pense que rien de tout cela ne serait arrivé si l’on avait
pendu Voltaire et mis Rousseau aux galères ! Ah ! Les
gens d’esprit, quel fléau ! Faites-moi guillotiner, et sans
attendre !

    — Tu as raison : on a que trop attendu ! La secte du
sans-culotte Jésus a duré près de dix-huit siècles ! Le
culte de la liberté ne saurait plus être retardé ! Et Dieu
nous garde du retour à la monarchie !

    — Ne parlez pas de Dieu. Vous n’y entendez rien.
Dieu souffre en ce moment. Dieu souffre dans son fils
Très-Chrétien le roi de France qui est enfant comme
l’enfant Jésus et qui

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