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Un bateau pour l'enfer

Un bateau pour l'enfer

Titel: Un bateau pour l'enfer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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dispersés. Seules deux fillettes continuaient de fixer avec intensité la terre ferme. Renate, l’aînée, âgée de sept ans, faisait un effort surhumain pour ne pas se laisser aller à pleurer devant Evelyin, sa sœur cadette. Elle se devait d’être forte pour deux, au moins jusqu’à leur arrivée à La Havane, où les attendait leur père, Max Aber. Pour des raisons tant politiques que familiales, leur présence à bord tenait du miracle. Un an plus tôt, Max avait été contraint de fuir Berlin en catastrophe. Sa maison était surveillée. Son arrestation n’était plus qu’une question de jours. Pourtant, le médecin qu’il était n’avait rien eu à se reprocher. Au contraire. Sa réputation était si grande que les notables SS n’avaient pas hésité à faire appel à ses services, bien que le sachant juif. Ce qui lui avait permis de subsister malgré les restrictions imposées à sa communauté. Mais Max ne se faisait aucune illusion. Il pressentait que la situation ne durerait pas éternellement. Par l’intermédiaire d’un ami avocat, il était parvenu au fil des mois à transférer ses économies (environ huit cents dollars) dans une banque de New York. Comment la Gestapo avait-elle réussi à découvrir son initiative ? Mystère. Une chose est sûre, la trahison ne vint pas de son ami. Un matin de février, celui-ci avait été arrêté et envoyé dans un camp. Le tour de Max n’allait pas tarder. Contraint d’abandonner Lucie, sa femme, et leurs deux enfants, il avait fui in extremis pour les États-Unis. Une fois sur place, il arracha au service d’immigration américain le titre qui lui garantissait une place sur la liste des quotas. Cette démarche lui avait coûté cinq cents dollars. C’était pratiquement tout ce qu’il possédait. En attendant que vienne son tour, les autorités l’avaient sommé de quitter le territoire américain. Il ne lui restait que trois cents dollars. Il les utilisa pour se rendre dans le pays le plus accessible : Cuba. Dès le lendemain de son arrivée à La Havane, il consacra toute son énergie à acquérir des visas d’immigration pour Lucie et les enfants. Il fut aidé en cela par un contact auprès duquel il avait été recommandé. Il s’agissait d’un personnage politique influent, du nom de José Estedes. À sa grande surprise, ainsi qu’il le prouverait par la suite, ce José Estedes se révéla être un homme d’une grande serviabilité. Aber avait obtenu les visas. Vers la fin du mois de février 1939, il les fit parvenir à son épouse en l’adjurant d’embarquer sur le premier bateau en partance pour Cuba. Pourtant, au tréfonds de lui, il savait que Lucie ne donnerait pas suite à sa requête. Depuis un certain temps déjà, elle ne lui appartenait plus. Un autre homme était entré dans sa vie. Mais il y avait les enfants. Que Lucie lui permette au moins de sauver les enfants. Elle accepta. N’étant pas juive, elle savait qu’elle ne risquait rien en restant en Allemagne. De plus, grâce à son nouvel amour, un pur Aryen, elle allait pouvoir vivre une autre vie, loin des humiliations et des brimades qu’elle avait endurées jusque-là. C’est ainsi que Renate et Evelyin s’étaient retrouvées sur le Saint-Louis. Avant leur embarquement, leur mère avait avisé un couple sans enfants – Vera et Herbert Ascher – à qui elle avait confié la garde des fillettes.
    Renate entraîna doucement sa petite sœur loin du bastingage.
    « Viens, dit-elle, on ne voit plus maman. Il ne sert à rien de rester ici. Allons visiter le bateau. »
    Avec mauvaise grâce, Evelyin acquiesça. Elle n’avait que faire de ce bateau. Sa mère lui manquait déjà trop.
    Au moment où elles allaient partir, Vera Ascher les apostropha :
    « Où allez-vous, mes enfants ?
    — Nous allons juste nous promener un peu. Nous ne tarderons pas. »
    La femme leva son index :
    « Il n’est pas question que vous vous promeniez toutes seules. C’est trop dangereux. D’ailleurs, il sera bientôt l’heure d’aller vous coucher. La journée a été exténuante. »
    Renate lui offrit une moue éplorée.
    « S’il vous plaît, madame. »
    Vera hésita, puis se tourna vers son mari.
    « Tu veux bien nous accompagner ? »
    Herbert Ascher était déjà allongé sur un transat, manifestement épuisé.
    « Allez sans moi, ma mie. Je n’ai pas la force de me relever. Je vous attendrai ici. »
    Vera n’insista pas. Elle prit les deux petites

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