Un bateau pour l'enfer
se fit toute petite.
Elle pensa : « Adonaï, faites que Dan ait raison. Il faut qu’il ait raison. »
Aucun des passagers, pas plus que le capitaine du Saint-Louis , n’aurait pu avoir accès au contenu du télégramme posté une semaine auparavant par le haut-commissaire pour les réfugiés, en réponse à un autre télégramme, expédié celui-ci par l’organisme connu sous le nom de HICEM [25] .
8 mai 1939
Haut-commissaire pour les réfugiés
sous la protection de la Société des Nations
Le président,
Hias-Ica Emigration Association [26]
89, bd Haussmann Paris 8 e
Monsieur,
J’ai été chargé par le haut-commissaire d’accuser réception de votre télégramme daté du 5 mai 1939 qui nous informe de ceci :
APPRENONS HAMBURG AMERICAN LINE HAPAG ENVISAGE ENVOYER PAQUEBOT SAINT-LOUIS TREIZE MAI NEUF CENTS ÉMIGRANTS CUBA – STOP – NOTRE COMITÉ HAVANE COMMUNIQUE DIRECTEUR DÉPARTEMENT IMMIGRATION ESTIME ARRIVÉE SIMULTANÉE GRAND NOMBRE IMMIGRANTS HAUTEMENT INDÉSIRABLES – STOP – AVONS AVERTI HAPAG INTERMÉDIAIRE HILF-SVEREIN BERLIN MAIS SANS RÉSULTAT – STOP – PERMETTONS SUGGÉRER VOTRE INTERVENTION DIRECTE AUPRÈS HAPAG RENONCER ENVOI MASSIF
À la réception du télégramme ci-dessus, le haut-commissaire a envoyé ce matin même à la Hamburg American Line le câble suivant :
J’AI ÉTÉ INFORMÉ PAR LE HICEM DE PARIS QUE VOUS AURIEZ L’INTENTION DE TRANSPORTER 900 RÉGUGIÉS VERS CUBA À BORD DE VOTRE BATEAU LE SAINT-LOUIS EN PARTANCE LE 13 MAI – STOP – DE GRANDES DIFFICULTÉS RISQUENT DE COMPROMETTRE LEUR DÉBARQUEMENT À CUBA AUSSI JE VOUS RECOMMANDE FORTEMENT D’ANNULER CE VOYAGE
JE DEMEURE MONSIEUR VOTRE SERVITEUR DÉVOUÉ
LORD DUNCANAN
Ce même 8 mai, à l’instigation de l’ex-président cubain, Grau San Martin [27] , plus de quarante mille manifestants en colère s’étaient rassemblés au centre de La Havane pour protester contre l’arrivée de nouveaux immigrants sur le territoire cubain. Mais cela non plus, les huit cent quatre-vingt-dix-neuf passagers du Saint-Louis ne pouvaient le savoir…
Deuxième partie
5
Arrivée simultanée d’un grand nombre d’immigrants … C’était sans doute une des phrases les plus alarmantes du télégramme expédié le 8 mai.
En effet, le Saint-Louis n’était pas le seul bateau en partance pour Cuba. L ’Iberia avait appareillé d’Espagne et devait accoster le 22 mai. L’ Orduna , parti d’Angleterre, était annoncé pour le 27 mai. L’arrivée du Flandre , parti de France, était prévue pour le 28. Quant au Saint-Louis , il était attendu le 29. On comprend dès lors l’inquiétude des responsables du HICEM et du haut-commissaire. Il y avait bien peu de chances, sinon aucune, que le gouvernement cubain acceptât d’accueillir en si peu de temps autant de réfugiés. À cette situation se greffait un autre élément bien plus grave encore, passé sous silence : le fameux décret n° 55 du 15 janvier 1939 – autorisant les réfugiés à venir en tant que touristes – avait été brusquement abrogé le 5 mai, sur décision du président cubain Federico Laredo Brù, par un autre décret, portant le n° 937, entré en vigueur dès le lendemain. Désormais, ceux qui souhaitaient débarquer sur le territoire cubain devaient être en possession de permis d’immigration dûment avérés par le secrétaire d’État, Juan J. Remos, et surtout – ce n’était pas la moindre des conditions – ils devaient s’acquitter de la caution de cinq cents dollars. Qui, en Allemagne, en était informé ? Goebbels ? Canaris ? Goering ? Claus-Gotfried Holthusen, le directeur de la Hapag ? Tous, n’en doutons pas, puisque les autorités cubaines avaient mis en garde la Hapag, dès le 6 mai, contre tout envoi de nouveaux réfugiés, soulignant que ceux-ci seraient inexorablement refoulés. Tous. Mais ils s’étaient bien gardés d’ébruiter l’information, de crainte de devoir annuler le départ du Saint-Louis et de compromettre le plan du ministre de la Propagande.
Désormais, conséquence directe et dramatique de l’abrogation du décret n° 55, les voyageurs en partance étaient – sans le savoir – dans l’illégalité.
Comme devait l’écrire plus tard (le 22 mai) Laura Margolis, l’une des responsables du Joint à La Havane, dans une lettre adressée à M lle Cecilia Razovsky, en fonction au JDC , à New York :
Si au bout du compte
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