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Un bateau pour l'enfer

Un bateau pour l'enfer

Titel: Un bateau pour l'enfer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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établi au Canada. Une semaine plus tôt, le jeune étudiant à qui le docteur donnait des cours particuliers fut informé que les Spanier allaient être arrêtés sous peu. Il se proposa spontanément de les conduire jusqu’à Hambourg. Ça aurait pu être un piège. Ce ne le fut pas. Manifestement, il existait encore des âmes charitables dans cette Allemagne défigurée.
    Babette Spanier, elle, avait très mal vécu ces bouleversements. La perspective de quitter l’Allemagne l’avait totalement déstabilisée. Malgré toutes les avanies subies, elle s’était refusée à accepter l’exil. Après tout, n’était-elle pas une Seideman ? Et les Seideman n’étaient-ils pas enfants de la Ruhr depuis plus de quatre cents ans ? Elle avait dit : « Nous nous étions toujours considérés comme allemands, nous étions allemands. La seule idée de quitter le pays de nos racines me brisait le cœur. »
    En réalité, il existait une autre raison, plus intime celle-là, qui poussait Babette à vouloir demeurer en Allemagne. Depuis un certain temps déjà, son couple battait de l’aile. Elle redoutait qu’il ne puisse survivre à une telle épreuve et craignait qu’une fois à l’étranger son mari ne demandât le divorce. Si finalement elle avait cédé, c’était parce que son époux avait fait montre d’une extrême tendresse à son égard, ne ménageant aucun effort pour la rassurer sur l’avenir de leur union.
    À quelques mètres de là, dans la cabine B-108, le vieux professeur Meier Weiler et sa femme Recha avaient eux aussi préféré demeurer à l’écart ; pour d’autres motifs. Ils étaient partis quelques jours plus tôt de Düsseldorf. Mais avant Düsseldorf, ils avaient dû affronter un voyage de huit cents kilomètres, aller-retour, pour récupérer leurs visas à Stuttgart, dans un local de la Königstrasse qui abritait un vieil organisme administratif juif appelé Oberrat. C’est cet organisme qui était entré en rapport avec le consul de Cuba à Francfort et qui avait obtenu pour eux les précieux documents.
    Jamais le couple Weiler n’aurait pu imaginer qu’il devait sa liberté à un accord tacite établi, six ans auparavant, entre l’Oberrat et… la Gestapo. En effet, l’organisme possédait dans ses archives des registres vieux de trois siècles qui regroupaient une formidable masse d’informations détaillées sur des centaines de milliers de Juifs allemands. Ces informations étaient naturellement du plus grand intérêt pour les agents de la Gestapo. C’est la raison pour laquelle, à partir de 1933, les autorités nazies autorisèrent l’Oberrat à venir officiellement en aide aux émigrants afin de faciliter leur départ d’Allemagne. Ainsi, la Gestapo accélérait l’exode juif tout en gardant l’œil sur les registres.
    Le périple Düsseldorf-Stuttgart avait profondément altéré le moral et surtout la santé du professeur ; une santé déjà bien fragile. C’est que le vieil homme avait tout subi ou presque. Pendant des années, il avait été un éminent professeur à l’université de Düsseldorf, respecté de ses étudiants comme de tout le milieu enseignant. Quand les nazis prirent le pouvoir, il s’efforça de considérer l’événement comme une sorte d’épiphénomène. Un soubresaut, ainsi que le pensait encore Julius, le gendre de Dan Singer. Il prêchait même, à qui voulait l’entendre, que toute cette affaire ne durerait pas plus de trois ans. Il avait tort. Un matin, il fut chassé de l’université et dut affronter les crachats et les excréments jetés sur lui par une bande de fanatiques déchaînés. Ce jour-là, toutes ses convictions, tout ce en quoi il avaitcru s’était écroulé. Depuis, lorsqu’il se penchait sur sa vie, il ne voyait qu’un champ de ruines. Une terre dévastée.
    À présent, assise auprès de lui, Recha Weiler se demandait s’il tiendrait le coup jusqu’au bout du voyage.
     
    Attablé à sa cabine, Erich Dublon reprit le fil de son écriture :
    « 13 mai 1939. La première impression qui se dégage de ce bateau est celle d’un grand confort. On se croirait dans un hôtel quatre étoiles. Ma cabine de première classe est des plus confortables. On a tiré le meilleur parti de l’espace. Ma couchette est parfaite près du hublot. Il y a aussi un ventilateur qui permet de rafraîchir la pièce. Les opérations d’embarquement se sont prolongées jusqu’à sept heures du soir. À huit heures trente

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