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Un bateau pour l'enfer

Un bateau pour l'enfer

Titel: Un bateau pour l'enfer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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retourner en Europe puissent accéder au Saint-Louis. »
    Laredo Brù eut un sourire méprisant.
    « Décidément, ce monsieur ne perd pas le sens des affaires. Ainsi son navire pourrait repartir en affichant complet. Il n’en est pas question ! Il ne s’agit pas d’autoriser une ou mille personnes à débarquer, docteur Remos. »
    Il martela :
    « Il s’agit de faire respecter la loi de la République ! »
    Juan Remos décida de tenter une autre approche.
    « Je me suis aussi entretenu avec le consul des États-Unis. De manière informelle, bien sûr. Il a attiré mon attention sur l’aspect humanitaire. Nous devrions peut-être méditer là-dessus.
    — L’aspect humanitaire ? Dois-je vous rappeler le contenu de la lettre circulaire envoyée par le président des États-Unis aux pays concernés par le problème des réfugiés ? “Aucune nation n’est dans l’obligation d’accueillir des réfugiés qui seraient en contravention avec la législation interne de cette nation.” Figurez-vous que moi aussi je suis conscient de l’aspect humanitaire. Mais Cuba ne peut pas devenir un centre d’accueil pour les centaines de milliers de personnes qui cherchent à fuir l’Europe ! Notre île et tous ses archipels ne représentent pas plus de cent dix mille kilomètres carrés ! Les États-Unis plus de neuf millions ! »
    Il y eut un nouveau silence. Puis Brù annonça :
    « Le seul moyen de mettre fin aux abus serait de renvoyer le navire en Allemagne. Ainsi, le monde comprendrait que la République cubaine sait se faire respecter. À présent, je propose que nous passions au vote. Que ceux qui sont contre ma proposition lèvent la main. »
    Pas un seul membre du cabinet ne broncha.
     
    Consulat général des États-Unis
    à La Havane
    Le 31 mai 1939
    STRICTEMENT CONFIDENTIEL
    […] Au cours d’un déjeuner à l’American Club ce 31 mai, l’ambassadeur et le consul général ont demandé à Mario Lazo [56] s’il était en mesure de nous rapporter le contenu des discussions qui se sont déroulées ce jour dans l’enceinte du cabinet présidentiel. Aux environs de quatre heures de l’après-midi, M. Mario Lazo m’a appelé pour me dire qu’il s’était rendu spécialement à Camp Columbia pour s’entretenir avec le ministre de la Défense. Il ressort de son entrevue que le cabinet a voté à l’unanimité le départ des réfugiés juifs et a exigé que le Saint-Louis reprenne la mer avec l’ensemble de ses passagers. Le ministre a dit aussi que la question humanitaire avait été soulevée au cours de la réunion par le Dr Remos, secrétaire d’État, mais que le président était resté absolument intransigeant. Apparemment, il [le président] estime qu’une leçon doit être donnée à la Hamburg American Line, laquelle a pris la liberté d’amener ici des passagers qui étaient en possession de documents obtenus par la corruption, alors même que ladite compagnie avait été catégoriquement informée que des passagers qui voyageraient dans de telles circonstances ne seraient pas autorisés à débarquer. Le président considérait ce comportement comme « une gifle donnée à sa personne ».
    […] Plus tard (17 h 40) Mario Lazo est arrivé au club et a corroboré verbalement à l’ambassadeur le rapport antérieur. Il a ajouté que le ministre de la Défense lui a confié que la personne la plus responsable de cette situation déplorable était Lawrence Berenson. En effet, il y a plusieurs mois de cela, le président aurait clairement informé Berenson que des réfugiés arrivant dans les circonstances identiques à celles du Saint-Louis ne seraient pas admis sur le sol cubain. De toute évidence, Berenson a cru bon de passer outre l’avertissement, faisant ainsi le jeu du colonel Benitez et de la Hamburg American Line.
    Coert du Bois
    Consul général
     
    Au cours de ces cinq derniers jours, le décor autour du Saint-Louis s’était métamorphosé. Aux proches des réfugiés qui, tous les matins, se regroupaient sur les quais s’étaient mêlés badauds, femmes, vieillards, enfants venus en curieux, marchands de glace et de noix de coco, bateleurs. Les mamas cubaines poussaient leurs landaus à l’ombre des étals de fortune qui avaient surgi comme par enchantement le long de la promenade du Prado. Des pêcheurs avaient transformé leurs embarcations en « bateaux de croisière », proposant pour un peso des circuits autour du paquebot. On trouvait aussi

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