Un bateau pour l'enfer
Dr Glaüner et le commissaire de bord, qui craignaient d’autres tentatives de suicide. La réponse n’allait pas tarder.
En milieu d’après-midi, l’officier en second, Klaus Ostermeyer, vint prévenir Schröder que l’un des stewards avait remarqué quelque chose de bizarre. S’étant rendu dans la cabine 76 pour y effectuer les travaux domestiques de routine, il avait, comme à l’accoutumée, commencé par frapper à la porte et sollicité la permission d’entrer. Devant l’absence de réponse, il avait alors cherché à ouvrir la cabine à l’aide de son passe ; en vain. La porte était verrouillée de l’intérieur.
Depuis le suicide de Max Loewe, Schröder avait donné des consignes pour que le moindre détail sortant de l’ordinaire lui fût signalé. Cette porte étrangement close ne pouvait qu’éveiller son inquiétude. Il fit appeler le médecin du bord et donna ordre que l’on force la porte.
Ce qui fut fait.
En découvrant le spectacle qui les attendait, le Dr Glaüner et le commissaire Müller furent pris d’un sentiment de panique.
L’occupant de la cabine, en l’occurrence Fritz Hermann, un médecin originaire de Munich, gisait sur son lit, inconscient. Sur la table de chevet : une seringue et plusieurs ampoules vides.
« Ce n’est pas possible », haleta le commissaire.
Glaüner était déjà en train d’examiner l’homme.
« Est-il… ? » bafouilla Müller.
Le médecin du bord mit quelques minutes avant de répondre :
« Non. Il respire. Il est vivant. Mais il est trop tôt pour faire un pronostic. »
Il désigna les ampoules.
« De l’insuline. Il devait souffrir de diabète. À forte dose, c’est la chute de tension assurée. Tout dépendra désormais de sa résistance physique. Je vais lui poser un goutte-à-goutte de sérum glucosé. Nous verrons comment il réagira. Je ne peux hélas rien faire de plus. »
Müller acquiesça faiblement. Dorénavant, ils n’étaient plus dans un monde rationnel. Plus aucune règle n’était applicable. Des femmes, des enfants, des hommes étaient en perdition. Pour eux, il n’y avait pas d’autre choix que mourir, mourir cent fois, plutôt que de rentrer en Allemagne.
Qui serait le suivant ?
Cette même interrogation dut envahir tout aussi sûrement les pensées de Schröder, car il convoqua sur-le-champ le comité des passagers afin de les mettre au courant de ce qui venait de se passer.
Josef Joseph et ses compagnons furent dans l’incapacité de prononcer un seul mot. Le pire était en train de se produire. À moins qu’il n’y eût un pire encore à venir.
15
Mercredi 31 mai 1939. Une heure du matin
Vêtu d’un complet d’une blancheur immaculée, le président Laredo Brù promena lentement son regard le long de la salle du conseil pour s’assurer que tous les membres de son cabinet étaient bien présents. Satisfait, il aborda sans tarder le sujet principal de la réunion. Il n’avait aucune note sous les yeux. Il s’exprimait de mémoire, mais son exposé fut clair et sans faille. Il conclut par ces mots :
« À mon sens, l’affaire est bien moins complexe que certains semblent le penser. »
Il ajouta en croisant les doigts sur l’immense table d’acajou :
« Elle se résume en quelques mots : certaines compagnies maritimes se sont crues suffisamment puissantes pour braver nos lois. Un décret a été publié en date du 6 mai. Seuls les immigrants s’étant acquittés d’une caution de cinq cents dollars et d’un visa avéré par le Dr Juan Remos pouvaient être admis sur notre territoire. Le Dr Juan Remos a prévenu la Hapag ainsi que les autres compagnies des nouvelles directives en vigueur. Malgré ces mises en garde, la Hapag a laissé partir le Saint-Louis. La compagnie Royal Mail Steam Packet a fait de même, permettant à l’ Orduna d’appareiller de Liverpool. Et pour le Flandre , ce fut pareil. »
Laredo Brù frappa brusquement du plat de la main sur la table.
« C’est une injure faite à la République ! Une injure faite à notre peuple ! »
Après un court silence, il déclara :
« Et maintenant messieurs, j’attends vos commentaires. »
Seul le Dr Juan Remos se manifesta.
« J’ai eu hier soir le señor Luis Clasing au téléphone. Il m’a fait une proposition qui ne me semble pas dénuée d’intérêt. Il suggère que nous laissions débarquer deux cent cinquante passagers afin qu’un nombre équivalent de voyageurs désireux de
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