Un bateau pour l'enfer
comme un dément sur ses veines dénudées.
Une vedette de la police avait amorcé un virage et se dirigeait à toute allure vers le point de chute.
Des voix affolées se mêlaient à présent aux hurlements du malheureux. Des passagers couraient dans tous les sens.
C’est alors qu’un marin se fraya un passage à travers le groupe qui s’était formé et plongea dans la mer [54] .
Au moment où il atteignait Max Loewe, ce dernier se mit à crier : « Assassins ! Assassins ! Vous ne m’aurez pas ! »
Le marin cherchait désespérément à agripper l’avocat, mais celui-ci réussit à s’esquiver et à plonger sous l’eau.
Le marin plongea à son tour et au prix d’une véritable empoignade réussit à remonter l’avocat à la surface et à l’y maintenir.
La vedette de police venait d’arriver à leur hauteur. On hissa Max hors de l’eau. On s’empressa de nouer un garrot de fortune au-dessus du poignet lacéré et on ramena le malheureux à bord.
Élise Loewe avait assisté à toute la scène, pétrifiée. Tout ce qui lui restait de force, elle l’avait utilisé pour maintenir le visage de ses enfants enfouis contre sa robe, afin d’essayer de les empêcher de voir ce qu’elle avait vu.
Il fallut toute la force de persuasion du Dr Glaüner pour que les autorités acceptent de transporter l’avocat dans un hôpital de La Havane. Son état nécessitait des soins intensifs et surtout une transfusion de sang. En le gardant sur le Saint-Louis , on lui ôtait toute chance de survivre.
Mais lorsque Élise s’avança tout naturellement pour suivre la civière, elle fut arrêtée net par les policiers.
« Unicamente él ! Lui seulement ! »
Mais ils étaient fous ! C’était son mari ! Son mari agonisant !
Elle eut beau crier sa détresse, menacer, supplier. Sans résultat.
« Unicamente él ! »
« Un jour, racontera Susan Schleger, alors que j’étais en train d’admirer le paysage, un homme a tout à coup déboulé, le bras en sang. De grosses gouttes de sang tombaient sur le pont. Les gens se sont mis à hurler. Il a continué à courir vers la rambarde et il a sauté dans l’eau. Je m’en souviens très bien. C’est le souvenir le plus fort que je conserve de ce voyage. À l’aide de sa main libre, il arrachait littéralement les veines de son bras. Il ne voulait pas être sauvé. »
Et Herbert Karliner confirmera :
« Tout le monde essayait de lui venir en aide ; en vain. Alors un marin qui se trouvait sur un pont plus élevé que le nôtre a plongé par-dessus bord et l’a sauvé. »
« Déjà deux morts, murmura Ruth Singer en étouffant un sanglot. Et ce pauvre Max Loewe sera peut-être le troisième… »
Dan répliqua d’une voix sombre :
« Ou le premier d’une longue liste… »
14
Lawrence Berenson et Cecilia Razovsky, les deux émissaires du Joint, avaient débarqué de New York le 29 mai au matin et pris leurs quartiers à l’hôtel Sevilla-Biltmore.
Leur séjour à La Havane, le dédale dans lequel ces deux personnages allaient errer, les imbroglios auxquels ils allaient être confrontés auraient mérité à eux seuls un roman [55] .
Deux jours avant son départ pour La Havane, Berenson – qui parlait couramment l’espagnol – avait reçu un coup de téléphone de l’avocat du comité sur place, le Dr Bustamente, et celui-ci lui avait affirmé que le président Brù le recevrait dès son arrivée.
À peine Berenson eut-il mis les pieds à Cuba qu’une horde de personnages plus ou moins recommandables, tous se prévalant d’être mandatés par Brù, fondirent sur lui, promettant monts et merveilles, en échange bien entendu de « certains avantages ». L’avocat leur opposa une fin de non-recevoir. Il ne souhaitait avoir affaire qu’au président en personne, et à lui seul. Primo, parce qu’il ne disposait à ce moment précis d’aucune ressource financière. Deuzio, parce que ces sollicitations sentaient le chantage à mille lieues. Il adopta la même attitude face à l’avocat conseil du colonel Benitez qui, lui aussi, s’était présenté à son hôtel.
Le mardi 30, Berenson et Razovsky se rendirent chez l’avocat cubain du Joint pour savoir ce qu’il en était de l’entrevue promise avec Brù.
« Hélas, je crains que ce ne soit plus possible, leur annonça Bustamente. La tension est telle que je n’ai pas pu obtenir de rendez-vous pour ce jour.
— Quand pensez-vous y parvenir ?
— Je
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