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Un bateau pour l'enfer

Un bateau pour l'enfer

Titel: Un bateau pour l'enfer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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sur la forme. Un décret a été promulgué qui est venu remettre en question la validité d’un millier de visas, visas pourtant dûment avérés par les autorités cubaines.
    — Permettez-moi de rectifier, capitaine : avérés par un gredin. Le colonel Benitez.
    — Qui était, que je sache, directeur de l’Immigration dans votre gouvernement.
    — Je…
    — Écoutez-moi, je vous en prie. Je viens de vous dire à l’instant que je n’avais pas l’intention de rentrer dans un débat juridique et encore moins politique. »
    Il poursuivit avec toute la ferveur dont il était capable :
    « Un millier de personnes, dont des femmes et des enfants pour la plupart, sont à présent dans le port de La Havane. »
    Il pointa son index vers la baie vitrée ouverte sur la rade.
    « Ils sont là. Ils sont chez vous . À quelques mètres de votre ville. Ils ont tout abandonné. On leur a tout pris. Ils n’ont plus de terre, plus de maison, plus rien. Si vous maintenez votre décision, nous n’aurons pas d’autre choix que de les rapatrier. Ce sera le retour en Allemagne. Savez-vous ce qui les attend là-bas ? En avez-vous une vague idée ? »
    Maymir émit quelques mots vagues.
    « La mort, déclara sèchement Schröder. Pensez-vous qu’ils accepteront cette perspective sans sourciller ? Non, monsieur le secrétaire. Ils ne l’accepteront pas. Je ne l’aurais pas acceptée non plus. »
    Il marqua une pause et annonça :
    « J’ai déjà dû faire face à deux tentatives de suicide. Et nous n’en sommes qu’au début. Je crains fort que ne se noue une entente tacite entre les passagers. »
    Maymir plissa le front.
    « Que voulez-vous dire ? Une sorte de pacte de suicide collectif ?
    — Exactement. »
    Le secrétaire sursauta.
    « Chantage ! »
    Il s’enfiévra d’un seul coup.
    « Sachez que le gouvernement cubain ne cédera jamais à ce genre de menace ! Jamais, vous m’entendez ? De toute façon, notre conscience est pure. Ainsi que je vous l’ai dit en préambule, seule votre compagnie est coupable. Si un tel drame devait arriver, c’est la Hapag qui devra en répondre devant Dieu.
    — Très bien. La Hapag sera donc responsable. Mais vous, colonel Maymir, et votre gouvernement, ne serez-vous pas tant soit peu déjugés par l’opinion internationale ? Croyez-vous sincèrement qu’après une série de suicides vous continuerez à avoir comme vous dites la “conscience pure” ? Même si la Hapag s’est placée en contradiction avec vos lois, je ne peux pas comprendre qu’à votre tour vous vous placiez en contradiction avec la morale. »
    Il éleva à peine le ton pour affirmer :
    « N’en doutez pas. Si réellement certains passagers mettaient leur menace à exécution, Cuba ne s’en remettrait pas. Et votre président encore moins. »
    Maymir laissa tomber d’une voix neutre :
    « Votre point de vue n’est pas inintéressant. Je m’engage à le transmettre au président. »
    Schröder extirpa une enveloppe de la poche de son veston et la tendit au secrétaire.
    « Vous engagez-vous aussi à lui remettre cette lettre ? J’y ai noté l’essentiel… (Il hésita avant de dire :) de mon point de vue. »
    Maymir prit l’enveloppe, la posa devant lui et se leva. L’entrevue était terminée.
     
    Ce même mercredi 31 mai, en fin d’après-midi, Berenson reçut la visite de l’ex-ministre de l’Agriculture, le Dr Lopez Castro. Un homme bien sous tous rapports. Toujours sans nouvelles du palais, l’avocat avait sollicité son aide.
    Après un premier échange de banalités, Castro annonça :
    « Je sors de chez le colonel Batista. Il vous fait dire que l’affaire du Saint-Louis est en bonne voie, et qu’il entrera en contact avec vous dans la soirée. »
    Berenson se tourna vers sa collègue, Cecilia Razovsky, et poussa un cri de victoire :
    « Vous voyez ? Tout s’arrange ! »
     
    Ce fut en fin de journée que le président Brù prit connaissance de la lettre de Schröder. Après l’avoir lue attentivement, il la rangea sur la pile de courrier qui occupait une place de plus en plus importante sur son bureau. Parmi les nombreux télégrammes – essentiellement expédiés des États-Unis – il y avait celui que les passagers avaient adressé à l’épouse de Brù. Le président avait interdit à sa femme d’y donner suite.
    Il tendit sa main vers son coffret à cigares, prit un Monte Cristo qu’il n’alluma pas, se contentant de

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