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Un bateau pour l'enfer

Un bateau pour l'enfer

Titel: Un bateau pour l'enfer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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    John E. Lewis [63] , dirigeant de la CIO [64] , a télégraphié au colonel Batista le texte suivant : « Je vous supplie au nom de l’humanité de permettre aux réfugiés du Saint-Louis et du Flandre, qui sont dans le désespoir, l’accès à votre pays. Si ces réfugiés étaient contraints de retourner en Allemagne, ils seront – sans aucun doute – expédiés dans des camps de concentration. Je prends la liberté de m’adresser à vous, sachant les sentiments de compassion que vous éprouvez à l’égard des victimes de la politique nazie. Je veux espérer que vous viendrez en aide à ces victimes. »
    2 juin 1939, dix heures du matin
    Les premières vibrations des machines qui se mettaient en marche montaient des entrailles du Saint-Louis.
    Babette Spanier, prise de panique, s’agrippa au bras de son mari.
    « Entends-tu ? »
    Il essaya de la rassurer.
    « C’était prévu. Mais nous allons revenir. Ne t’inquiète pas. »
    Babette crut peut-être à ces mots, mais elle fut sans doute la seule. Dans un élan d’exhortations et de larmes, les gens s’étaient rués vers le bastingage. En contrebas, debout dans les canots, leurs amis, les membres de leur famille criaient des phrases de soutien, d’autres priaient à voix basse, mains tendues vers le paquebot comme s’ils cherchaient à le retenir.
    Des vedettes de la police s’efforçaient de maintenir à distance cette forêt d’esquifs hétéroclites ; barques de pêcheur, dinghys, canoës, coquilles de noix. Manifestement, tout ce qui pouvait flotter à La Havane avait été réquisitionné par ces anonymes.
    Par-delà le vacarme, Ruth Singer se surprit à répéter inlassablement : « Nous n’allons pas mourir. Nous n’allons pas partir. » Et à sa voix se mêlaient d’autres voix de femmes, formant une litanie qui s’élevait jusqu’au ciel.
    Légèrement en retrait, Dan gardait le silence, le regard embrumé. Il pensait à sa fille, à ses petits-enfants qu’il ne reverrait peut-être plus ; il pensait à cette nuit de Cristal et dans sa mémoire revenait la question qu’avait dû se poser Jakob Felton alors qu’il succombait sous les coups des SS  : « Pourquoi, Adonaï ? Pourquoi ? »
     
    Le comité des passagers venait de pénétrer dans la timonerie où Schröder surveillait les manœuvres d’appareillage.
    « Capitaine, lança Josef Joseph, nous vous adjurons de stopper les machines.
    — C’est impossible.
    — Vous pouvez désobéir ! Vous le savez !
    — La marine interviendra. Je ne peux pas. »
    Herbert Manasse s’exclama :
    « Personne ! Personne ne peut vous contraindre. Vous êtes seul maître à bord !
    — Ils utiliseront la force !
    — De quelle manière ? Croyez-vous qu’ils tireront sur le Saint-Louis ?
    —  C’est un risque que je ne peux pas courir ! J’ai un millier de passagers à bord ! »
    Max Weis fit observer :
    « Justement ! Nous sommes votre bouclier. Jamais ils n’oseront couler le navire. Au pire, et ce serait l’idéal, ils l’endommageront et nous serons immobilisés.
    — Impensable ! Je suis responsable de vous, mais je suis aussi responsable du navire. »
    Josef Joseph revint à la charge :
    « Ne cédez pas, capitaine. Si vous cédez maintenant, nous n’aurons plus jamais aucune chance de faire entendre nos droits. Ce sera la fin !
    — Vous avez tort ! Réfléchissez, je vous en prie. Aux yeux du président nous sommes en infraction avec la loi. Pour des raisons qui n’appartiennent qu’à lui, il a fait de cette affaire une histoire de prestige. En nous sommant de quitter les eaux territoriales, il y a une chance, faible je l’admets, pour que les discussions reprennent dans des conditions plus sereines et qu’un compromis soit trouvé qui permettra à Brù de sauver la face. En revanche, si nous bafouons une fois encore ce qu’il considère être le droit cubain, alors, croyez-moi, les portes de La Havane seront à jamais scellées. »
    Il conclut avec force :
    « Soumettons-nous. Et tout redeviendra possible. »
    À court d’arguments, Josef Joseph haussa les épaules.
    « Que le Seigneur fasse que vous ayez raison, capitaine Schröder. Sinon, qu’il vous pardonne. »
    Au moment où il faisait signe à ses compagnons de se retirer, un marin vint annoncer l’arrivée à bord de Milton Goldsmith. Le dirigeant du Comité de secours souhaitait parler aux réfugiés avant que le bateau ne prenne la

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