Un bateau pour l'enfer
anti-suicide scrutaient les ténèbres, à l’affût du moindre bruit.
Dans les cabines, mille et une visions funestes avaient envahi les esprits. Comme la plupart de ses compagnons, Aaron Pozner fut incapable de trouver le sommeil. Comme la plupart, à travers les vagues qui heurtaient inlassablement la coque, il avait l’impression d’entendre les vociférations des SA et le bruit des bottes.
17
Loin de là, dans la finca de Castro Lopez, Berenson mettait la dernière main au projet qu’il avait l’intention de soumettre au président Brù. Il était conseillé en cela par le ministre de l’Agriculture et trois de ses assistants, parmi lesquels se trouvait un certain Eisenstein. Curieusement, en dépit de la consonance de son nom, il n’était pas connu comme appartenant à la communauté juive de La Havane.
« Nous pourrions donc proposer au président des obligations cautionnées par le Joint, pour un montant de vingt-cinq mille dollars, qui permettront de répondre aux besoins des passagers pendant leur séjour sur le territoire cubain. Ne perdons pas de vue que la presque totalité des passagers possèdent des visas en bonne et due forme pour les États-Unis. Pour l’heure, les autorités américaines s’opposent à leur entrée, mais cette attitude ne pourra durer indéfiniment. »
Eisenstein secoua la tête.
« À mon avis, cela ne suffira pas. Je suggère que vous doubliez la somme.
— Cinquante mille dollars ?
— Absolument.
— Il faut que j’en réfère à New York. Puis-je téléphoner ? »
Un instant plus tard, Berenson obtenait l’accord d’Alfred Jaretzki, le président du Joint pour l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud. Et ce dernier ajouta :
« Vous pouvez même aller jusque cent vingt-cinq mille dollars. »
L’avocat reposa le combiné et annonça :
« C’est bon pour cinquante mille dollars.
— Il faudrait aussi étendre la durée de cette caution à cinq ans au lieu de trois.
— Je n’y vois pas d’inconvénient. »
Une heure plus tard, le projet fut bouclé et confié à l’un des secrétaires du ministre afin que celui-ci le traduise en espagnol et le transmette au président Brù dès le lendemain à la première heure. Il était libellé comme suit :
The Sevilla-Biltmore
La Havane Cuba
Ce vendredi 2 juin
À Son Excellence Federico Laredo Brù
Président de la République cubaine
Cher Monsieur le Président,
Suite à l’entrevue que vous nous avez accordée le 1er juin 1939, j’ai l’honneur de soumettre à Votre Excellence les propositions suivantes élaborées par le Comité de secours juif, dans la perspective de l’entrée des passagers du Saint-Louis à Cuba, à présent que le navire a quitté les eaux territoriales.
1. Une caution de la Maryland Casualty Company [61] , qui dispose des qualités requises pour opérer sur le sol cubain, sera immédiatement déposée avec l’accord de Votre Excellence en faveur de la République cubaine. Le montant de cette caution sera de cinquante mille dollars (50 000 $) sous forme d’obligations et garantira ce qui suit :
(a) Aucun des passagers séjournant Cuba ne violera les lois du travail du gouvernement cubain, et si des personnes étaient jugées coupables d’une telle violation, elles seraient aussitôt condamnées à la déportation par le gouvernement cubain. Le coût de cette déportation serait prélevé sur la caution.
(b) La caution servira en outre à indemniser le gouvernement cubain dans le cas où l’un des passagers se retrouverait à la charge de l’État.
(c) Si dans un délai de trois ans, les passagers âgés de vingt et un ans ou plus ne trouvaient aucun débouché dans l’un des secteurs approuvés par le gouvernement cubain, ils quitteront le sol cubain pour un autre pays sous quatre-vingt-dix jours et le coût de leur déplacement sera pris en charge par la caution.
[…]
(e) La caution sera valide durant une période de cinq ans, et son montant se réduira au fur et à mesure que le nombre des réfugiés présents ira en diminuant, et sera recalculée tous les six mois.
2. L’installation des réfugiés dans des lieux tels que l’île des Pins sera déterminée par le secrétaire des Haciendas en accord avec le Comité de secours jui f.
[ … ]
3. Le Comité de secours juif, ou un organisme cubain désigné par ledit comité, sera autorisé à gérer un centre d’enseignement pour les enfants. Des instituteurs en
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