Un bateau pour l'enfer
me Brù, M me Roosevelt n’avait jugé utile de répondre aux appels au secours envoyés par les femmes du Saint-Louis.
« Et la République dominicaine ? interrogea fiévreusement Josef Joseph. Elle semblait prête à nous recevoir. Que s’est-il passé ?
— Je n’en sais rien, répondit le capitaine, aussi abattu que ses interlocuteurs.
— Que comptez-vous faire ? questionna Herbert Manasse. Vous savez, n’est-ce pas, que dès l’instant où les passagers seront mis au courant, il faudra vous attendre au pire.
— J’en suis parfaitement conscient. C’est pourquoi je propose que nous continuions à garder le silence. J’ai aussi pris une importante décision… »
Les regards le scrutèrent, à l’affût.
La voix grave, Schröder annonça :
« Je vais ignorer l’injonction de la Hapag et je vais tenter d’entrer de force dans l’un des ports de Floride. Le plus proche. Le premier que nous croiserons. »
Un mouvement se produisit parmi les membres du comité ; mélange de stupeur et de gratitude.
« C’est extrêmement courageux de votre part, capitaine. Mais croyez-vous que ce soit faisable ?
— Nous verrons bien. Une chose est sûre : nous devons agir vite. Le temps nous est compté. »
Une heure plus tard, le Saint-Louis se rapprochait à vitesse réduite d’un petit port de plaisance, à quelques encablures de Miami.
« Nous allons accoster, cria quelqu’un.
— Oui ! Je vois un débarcadère ! Là-bas ! Droit devant. »
La proue du navire fendait l’écume. Il n’était plus qu’à un mille nautique de l’entrée du port.
Schiendick se demanda si le capitaine n’était pas devenu fou.
C’est alors que les vedettes américaines se placèrent en travers de la route du Saint-Louis. À l’aide d’un porte-voix, ordre fut donné au capitaine de faire immédiatement demi-tour sous peine de représailles.
En évoquant ces heures, Schröder écrira :
« J’avais prévu d’accoster en Floride illégalement. Les passagers étaient prêts à débarquer à tout instant. Par une belle matinée ensoleillée, nous sommes entrés dans un port pour tâter le terrain. À la minute où nous sommes entrés, j’ai vu que nous étions déjà surveillés. Alors que j’atteignais un endroit accessible au débarquement, des garde-côtes ainsi que des avions militaires ont entouré le paquebot pour empêcher toute tentative de débarquement. »
« Pourquoi ne nous laissaient-ils pas entrer ? s’interrogea Sol Messinger. Nous leur avons même demandé de nous installer dans des camps. Or, la seule réponse des États-Unis fut la navette des garde-côtes. Ils s’assuraient que nous étions assez éloignés de la côte pour que personne ne tente de rejoindre la terre ferme.
D’une voix sourde, Schröder ordonna au timonier de prendre le cap est-nord-est.
Direction l’Allemagne.
Preuve s’il en était de l’imbroglio, mais aussi de la mauvaise foi cubaine dont furent victimes les gens du Saint-Louis, ce même jour la Chase National Bank de New York accusait réception de cette lettre, signée par James Rosenberg, président du Joint new-yorkais, et par Edwin Goldwesser, son trésorier.
Messieurs,
Le soussigné, American Jewish Joint Distribution Comittee, inc., vous prie d’informer le gouvernement cubain que nous vous autorisons à lui soumettre la proposition suivante :
Le Comité s’engage à s’acquitter de la caution de cinq cents dollars pour chacun des passagers se trouvant à bord du Saint-Louis, de l’Orduna et du Flandre qui n’auraient pas déjà réglé cette somme afin de permettre leur immigration à Cuba, répondant ainsi aux conditions imposées par la loi en vigueur. […]
Vous aurez l’amabilité d’aviser le gouvernement que vous avez plein pouvoir pour présenter cette proposition et que vous disposez des sommes nécessaires.
Vous préciserez au gouvernement cubain qu’en sus de ce qui précède, le Comité garantit qu’aucun des réfugiés ne deviendra une charge publique pour l’État cubain. L’application de ce dernier point étant de la responsabilité du Comité et non de la Chase National Bank.
Et simultanément, le Joint adressait le télégramme suivant au président Brù :
À L’HONORABLE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE CUBAINE
HIER APRÈS-MIDI ALORS QUE NOUS ÉTIONS SOUS L’IMPRESSION QUE LES NÉGOCIATIONS QUI AURAIENT DÛ PERMETTRE L’ADMISSION SUR VOTRE TERRITOIRE DES PASSAGERS DU
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