Un collier pour le diable
dire ?
Sous la masse cendrée de ses cheveux haut relevés, le front de Marie-Antoinette se chargeait d’orage tandis que s’accentuait la lippe hautaine de sa « lèvre autrichienne ». Jouant alors le tout pour le tout, Gilles plia le genou mais garda l’échine droite :
— Daigne la Reine me pardonner mon audace et consentir à ne voir en moi que le plus humble, le plus fidèle et le plus dévoué de ses serviteurs. J’ai voué ma vie au service, au bonheur de mon roi et de ma reine et ce que je viens faire ici n’a pas d’autre objectif.
— Je n’en ai encore jamais douté, Monsieur, fit la Reine avec impatience mais d’une voix un peu moins rude. Après ?
— Ce que j’ai à dire à Votre Majesté c’est ceci : Madame de La Motte-Valois est une aventurière qui avilit le nom sacré que le hasard de la naissance lui a accordé, une créature indigne d’approcher même les basses-cours d’un palais royal… à plus forte raison les demeures de la Reine. Il vous faut la chasser, Madame, la chasser au plus tôt sinon je la crois capable de faire à Votre Majesté un mal affreux.
— Du mal, à moi ? Cette pauvre créature qui supporte si courageusement une grande misère, une misère d’autant plus tragique d’être vécue sous un nom aussi illustre que celui dont vous lui faites si injustement reproche ? Mais que vous a donc fait cette malheureuse, à laquelle, j’en conviens, je veux du bien, pour que vous osiez l’accuser si sévèrement ?
— À moi ? rien ! Mais à Votre Majesté, beaucoup car, je peux le jurer sur l’honneur à la Reine, Madame de la Motte est beaucoup moins dévouée à Votre Majesté qu’à une autre personne princière. La Reine permet-elle que je lui pose une question ? Une seule…
— Faites !
— Avant de partir pour la Suède, Monsieur de Fersen n’a-t-il rien dit à Votre Majesté touchant Madame de La Motte ?
— Monsieur de… Non, rien !
Brusquement la Reine porta ses deux mains à sa tête comme si elle était prise de vertiges. Sa voix s’altéra.
— Axel ! Mon Dieu… C’est vrai : vous êtes son ami…
Elle tournoya sur elle-même et alla tomber dans une bergère qui cria sous son poids. Avec épouvante, Gilles vit qu’elle était devenue blême et que les fines ailes de son nez se pinçaient. Aussitôt il fut sur pied.
— Votre Majesté est souffrante ?…
— Oui… Non ! Ce n’est rien ! Je vous en prie, chevalier, appelez Madame de Misery… ou Madame Campan… Quelqu’un.
La première femme de chambre et l’épouse du bibliothécaire n’étaient pas loin. Elles répondirent au premier appel du jeune homme et se précipitèrent vers leur maîtresse, non sans que la petite Mme Campan ne lui eût décoché au passage un coup d’œil meurtrier.
— Je vous avais dit de ménager la Reine, Monsieur !
Marie-Antoinette eut un pâle sourire.
— Ne… malmenez pas ce jeune homme, ma bonne Campan. Menez-moi plutôt dans ma chambre ; je ne me sens pas très bien… Attendez ici, chevalier… je vous ferai appe… Oh !… Vite !
Emportée plus encore que soutenue par ses femmes, elle s’enfuit littéralement de la petite pièce, laissant Gilles assez perplexe. La Reine était-elle vraiment malade ou bien avait-elle trouvé simplement un moyen commode de rompre un entretien désagréable ? Dans un moment, sans doute, l’une de ses chambrières, cette Madame Campan peut-être qui ne semblait pas le porter dans son cœur, viendrait lui dire que Sa Majesté était au regret mais qu’il lui fallait remettre à plus tard la suite d’un entretien, un plus tard qui se situerait sans doute aux environs des calendes grecques…
Il se reprocha vite ces mauvaises pensées car, lorsque Mme Campan reparut, ce ne fut pas pour l’éconduire mais bien, au contraire, pour l’inviter à la suivre et l’introduire dans la chambre même de sa maîtresse où celle-ci, enveloppée de châles légers, était étendue sur une méridienne.
Elle était moins pâle que tout à l’heure mais une odeur indéfinissable et un peu aigre, attestant que Sa Majesté venait d’avoir mal au cœur, traînait encore entre les soieries et les boiseries fleuries de la pièce malgré les fenêtres grandes ouvertes et l’eau de senteur qu’on y avait vaporisée.
— Votre Majesté se sent mieux ? chuchota Gilles, impressionné par les yeux cernés de Marie-Antoinette.
Elle lui sourit avec un rien de malice.
— Je vous
Weitere Kostenlose Bücher