Un collier pour le diable
n’arrive pas à comprendre c’est pourquoi Monsieur de Fersen ne m’a rien dit. Il est vrai que je l’ai vu à peine avant son départ et uniquement en présence du comte de Haga, mais il aurait pu m’en écrire. Que vous a-t-il dit quand vous lui avez rendu la lettre ?
Le visage hâlé du jeune homme vira au rouge brique. Cela n’allait pas être facile de raconter à la Reine qu’il avait poché un œil à son chevalier servant…
— Je crains que la Reine n’apprécie guère la suite de mon récit, fit-il avec une grimace. Elle me pardonnera plus facilement d’avoir attaqué Monsieur que d’avoir assommé Fersen…
— Comment ?… Assommé, dites-vous ?
— Oui, Madame. Et je n’ai malheureusement pas pu lui en demander pardon car tout de suite après je me suis vu dans la pénible obligation d’embrocher Monsieur de Lauzun.
— Oh ! pour celui-là, je vous l’abandonne… Qu’avez-vous dit ? Embroché Lauzun ? C’est de vous la blessure qui le tient enfermé chez lui ?
— En effet, Madame. Que Votre Majesté me pardonne mais je ne suis pas certain de le regretter.
Elle eut un mouvement d’épaules plein de lassitude.
— Moi non plus, chevalier ! Les rapports de police ne sont que trop clairs au sujet des fanfaronnades de Monsieur de Lauzun. Il n’est pas de pire ennemi, voyez-vous, qu’un ami qui se croit offensé. On me rapporte des quatrains, des couplets… C’est immonde ! Mais revenons à vous et dites-moi à présent ce qui s’est passé entre vous et Monsieur de Fersen.
De toute évidence la pensée de Fersen était la seule qui fût capable de chasser les chagrins de Marie-Antoinette. Gilles s’exécuta brièvement mais avec, cette fois, la satisfaction d’entendre rire la Reine.
— Voilà donc la raison pour laquelle il ne se montrait plus les derniers jours ? Un œil poché ! Mon Dieu ! Est-il coquet ! Mais, j’y pense, vous devez être fort mal ensemble vous et lui ?
— Fort mal, je le crains, Madame. J’en éprouve de la peine car je lui dois beaucoup.
— J’arrangerai cela car sa colère envers vous était injuste. Et puis, il me semble que, si vous devez beaucoup à Monsieur de Fersen, vous le lui avez rendu. En outre, c’est la Reine à présent qui vous doit beaucoup.
— La Reine ne me doit rien. Je suis son serviteur et la joie de la voir sourire constitue la plus belle des récompenses.
Elle hocha la tête avec un mouvement plein de grâce.
— Ne devenez pas courtisan, seigneur Gerfaut, vous me plairiez moins ! Continuez seulement à bien servir le Roi… car c’est à lui n’est-ce pas que va le plus chaud de votre dévouement ? C’est bien normal d’ailleurs.
— J’appartiens au Roi, c’est vrai, mais j’appartiens aussi à la Reine. Pourquoi oserais-je des préférences ?
— Peut-être parce que le Roi est sans mystère… tandis que la Reine a son secret. Un secret que vous possédez, ajouta-t-elle en rougissant légèrement.
Le visage fier du jeune homme s’éclaira d’un sourire.
— Je serais un bien triste sire, Madame, si, mis par le hasard au courant d’une affaire privée concernant une femme, fût-elle reine, j’osais m’en souvenir encore la minute suivante. Le secret des cœurs appartient à Dieu et la Reine est sacrée.
Dans un geste charmant et plein de spontanéité, elle lui tendit sa main.
— Tenez, chevalier, vous êtes un aimable garçon et vous me plaisez infiniment… Puis, comme il mettait genou en terre pour baiser cette royale main, au fait, où en êtes-vous de votre affaire de château familial ? Vous n’êtes jamais venu m’en reparler.
— Cela n’en valait pas la peine. J’en suis toujours au même point, Madame. Mais que la Reine n’en prenne nul souci ; j’espère parvenir un jour prochain à réunir la somme exigée par l’actuel propriétaire.
— Avec la solde d’un Garde du Corps ? C’est la plus forte de toute l’Armée, je le sais, mais tout de même…
— Avec l’aide d’un mien ami, le baron de Batz, actuellement en Espagne. Il est très versé dans les affaires d’argent alors que je n’y connais rien mais je suis de compte à demi avec lui. Puis-je demander à la Reine la permission de me retirer ?
Il devenait nerveux, détestant l’idée de parler argent à cet instant car cela venait trop tôt après une conversation importante. Marie-Antoinette s’en aperçut.
— Allez, Monsieur, dit-elle doucement. La Reine est votre
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