Un collier pour le diable
obligée mais la femme entend être votre amie… (Puis, élevant tout à coup la voix, elle appela :) Madame Campan ? Venez !
La femme de chambre apparut instantanément. Gilles, amusé pensa qu’elle devait se tenir juste derrière la porte, toute prête à intervenir au cas où l’insupportable militaire qu’il était oserait encore tourmenter sa maîtresse. Elle fit une petite révérence.
— Majesté ?
— Regardez bien ce jeune homme, ma bonne Campan, mais regardez-le avec sympathie. Il se nomme le chevalier de Tournemine et il aura désormais le droit de m’approcher en tout lieu et en toutes circonstances. Vous donnerez son nom aux portes. De plus voici un ordre formel : lorsque Madame de La Motte se présentera, aujourd’hui ou demain, vous me l’amènerez sans rien lui dire ; mais, ensuite, vous veillerez à ce qu’on ne lui permette plus jamais de franchir les grilles de mes domaines. C’est bien compris ?
La figure de Madame Campan s’illumina et elle fit bénéficier Gilles de la fin de son sourire.
— Si c’est compris ? Je crois bien… et avec quelle joie !
Une joie qui en disait long sur la sympathie que lui inspirait la séduisante comtesse. Elle était même si contente qu’elle raccompagna Gilles jusqu’au perron du château, peut-être pour se faire pardonner son accueil plutôt frais et attendit même qu’il se fût mis en selle pour lui lancer :
— Si c’est pour nous apporter toujours d’aussi bonnes nouvelles, revenez souvent, chevalier, nous serons toujours extrêmement heureuses de vous voir !
— Je ferai de mon mieux, Madame !
Et, persuadé d’avoir mis momentanément la Reine à l’abri des machinations de son beau-frère, il s’éloigna, le cœur content…
1 . C’est actuellement le Bosquet de la Reine car elle affectionnait cette partie du parc.
TROISIÈME PARTIE
TEMPÊTE SUR VERSAILLES
1784-1785
CHAPITRE XII
LA MAISON DE MONSIEUR BEAUSIRE
Le billet, écrit sur papier rose et coquettement plié, était charmant. Il avait un air innocent et juvénile. Cependant son contenu avait de quoi faire réfléchir.
« Si vous souhaitez recevoir des nouvelles d’une belle jeune fille rousse, priez M. Lecoulteux de la Noraye, votre ami, de vous conduire à l’une des soirées de jeu qui se tiennent plusieurs fois la semaine dans certaine maison sise au n o 10 de la rue Neuve-Saint-Gilles au Marais… »
Pas la moindre signature à ce billet si ce n’est le dessin grossier d’un trèfle à quatre feuilles, symbole de chance. Quant à l’écriture, assez élégante, elle était totalement inconnue du destinataire.
— Qui peut bien m’envoyer cela ? fit Gilles en se levant pour descendre chez Mlle Marjon demander qui avait apporté, quelques instants auparavant, le billet rose.
Il le tendit à Winkleried qui, les yeux mi-clos et les pieds sur les chenets de la cheminée, fumait, avec une mine de matou satisfait, une immense pipe, accompagnement logique, pour lui, d’une heureuse digestion.
— Tiens ! fit-il. Tu me diras ce que tu en penses à mon retour.
Mais Gilles n’apprit rien d’intéressant de sa propriétaire. Un commissionnaire comme il en existait des centaines avait apporté le billet sans en révéler la provenance. Il était impossible d’en savoir davantage.
Quand il revint chez lui, Ulrich-August avait ouvert tout à fait les yeux et quitté sa pose détendue. Il tournait et retournait le papier entre ses doigts.
— Alors ? dit-il en levant les yeux sur son ami.
— Rien ! Un commissionnaire ! Et toi, qu’est-ce que tu en penses ?
— Que c’est un billet de femme. La couleur, l’écriture… mais quelle femme ?
— C’est toute la question, dit Gilles en se baissant pour remettre du bois dans le feu. Le 10, rue Neuve-Saint-Gilles, c’est la maison de Mme de La Motte… or, j’y suis encore passé il y a dix jours, cette maison est fermée, vide. Les gens du quartier interrogés ont dit que les La Motte, mari et femme, étaient partis pour Bar-sur-Aube, pour voir ceux de leur parentèle, avec un vrai déménagement…
Près de quatre mois s’étaient écoulés depuis l’entrevue que Tournemine avait eue avec la Reine à Trianon… Quatre mois désespérants au fil desquels Gilles s’était senti mille fois devenir fou à force de monotonie et de silence. Sans l’amitié tonique de Winkleried, il eût peut-être repris le chemin des États-Unis mais le Suisse, considérant la
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