Un collier pour le diable
et affection que je lui rends avec usure et qui font que je ne tolérerai jamais qu’on l’insulte devant moi ! Une dernière fois, sortez, Madame, si vous ne souhaitez pas que je vous reconduise un peu énergiquement. Et ne vous avisez jamais de revenir ici !
Elle ramassa son voile, le jeta sur son bras d’un geste désinvolte et marcha jusqu’à la porte. Au seuil, elle s’arrêta et toisa le chevalier.
— C’est bien. Je m’en vais ! Inutile de me reconduire, ce serait grotesque ! Un mot encore cependant : je ne reviendrai jamais dans cette maison, soyez-en persuadé. Mais vous n’en avez pas fini avec moi pour autant, mon bel ami, et nous nous reverrons.
Il s’inclina, ironique, et, désinvolte :
— Quel plaisir ce sera ! Ne vous pressez pas, cependant : ma convalescence est encore trop récente pour me permettre de supporter sans inconvénients les trop grandes joies ! Adieu, Madame…
Resté seul, il alla reprendre le paquet de lettres abandonné sur la table et alla rejoindre, dans la cuisine, Pongo qui, connaissant son maître, était occupé à faire du café suivant la recette précise que lui avait enseignée Niklaus.
— Tiens, lui dit-il, jette cela dans le feu. Il y a des influences qu’il est dangereux de garder dans une maison honnête…
1 . Le Ministre désignait le Roi dans la prétendue correspondance secrète échangée entre la Reine et le cardinal de Rohan. Cette lettre est tirée des Mémoires de Madame de La Motte édités à Londres en 1789.
CHAPITRE XV
« ARRÊTEZ MONSIEUR LE CARDINAL !… »
Le lundi 15 août 1785, Versailles s’apprêtait à célébrer tout à la fois la grande fête religieuse de l’Assomption, le renouvellement du vœu du roi Louis XIII dévouant la France à la Vierge Marie et la fête patronale de la Reine. Aussi, dès neuf heures du matin, les Grands Appartements et la Galerie des Glaces furent-ils envahis d’une foule énorme et très brillante qui mêlait la Cour entière, le Corps diplomatique, les habitants de Versailles, les visiteurs venus de Paris et ceux venus de province, voire même de l’étranger. Car, ce jour-là, les portes du palais s’ouvraient, plus largement encore que de coutume, à ceux qui souhaitaient admirer le traditionnel et magnifique cortège qui, tout à l’heure, mènerait à travers les pièces d’apparat et jusqu’à la Chapelle la famille royale au grand complet pour entendre la grand-messe célébrée traditionnellement par le Grand Aumônier de France.
Par les fenêtres de la Galerie des Glaces, largement ouvertes sur la longue perspective bleue du Grand Canal, sur les parterres fleuris et sur la féerie étincelante des jets d’eau qui faisaient retomber leurs immenses plumes irisées sur les bassins où se reflétait le ciel indigo, le joyeux soleil d’été glorifiait l’or des boiseries et des bronzes, des torchères et des meubles, l’éclat limpide des hautes glaces et les chamarrures de toute cette foule en habit de fête qui s’entassait tout au long du chemin gardé libre pour le cortège par le cordon bleu et rouge des soldats de la Maison du Roi : Gardes du Corps, Cent-Suisses, Gardes de la Porte ou de la Prévôté, tous les régiments chargés de la protection des souverains s’échelonnaient entre les portes des Appartements Royaux et la Chapelle.
Planant sur tout cela le brouhaha des conversations et le battement scintillant des éventails faisaient ressembler plus que jamais le palais à une immense volière parfumée par la poudre des chevelures et les eaux de senteur dont était inondée cette foule élégante.
Débout dans le salon de l’Œil-de-Bœuf qui servait d’antichambre au Roi et où se groupaient lentement les ministres et les chefs des plus hautes maisons de la noblesse, Gilles de Tournemine, en grande tenue, assurait la surveillance de la porte des appartements de Louis XVI où deux Gardes de la Porte, habit bleu et rouge et baudrier à damiers blancs et or, montaient une garde rigoureusement immobile et muette. Dans un coin, le beau Calonne, Ministre des Finances, s’entretenait avec Vergennes tandis qu’un peu plus loin, le Garde des Sceaux Miromesnil avait avec le baron de Breteuil un entretien qui semblait singulièrement passionné.
Tout à coup, l’atmosphère de fête s’alourdit. Ceux qui se trouvaient dans le salon, et Gilles tout le premier, eurent l’impression qu’il se passait quelque chose d’inhabituel. La Reine venait de
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