Un Dimanche à La Piscine à Kigali
éternel. Ces gens, dans ce pays timide, réservé et souvent menteur, vivent en état de bruyance, comme des animaux bruyants. Ils vivent également en état de rut. Le bruit est leur respiration, le silence est leur mort, et le cul des Rwandaises, leur territoire d’exploration. Ce sont des explorateurs bruyants du tiers-cul. Seuls les Allemands, quand ils descendent en force sur l’hôtel comme un bataillon de comptables moralisateurs, peuvent rivaliser de bruyance avec les Belges et les Québécois. Les Français d’importance ne fréquentent pas cet hôtel. Ils se barricadent au Méridien avec les hauts gradés rwandais et avec les putes propres qui sirotent du whisky. À l’hôtel, les putes sont rarement propres. Elles boivent du Pepsi en attendant qu’on les choisisse et qu’on leur offre de la bière locale, ce qui leur permettra peut-être de se voir offrir plus tard un whisky ou une vodka. Mais, en femmes réalistes, elles se contentent aujourd’hui d’un Pepsi et d’un client.
Ces observations, Valcourt, qui est aussi québécois mais qui l’a presque oublié depuis longtemps, les note autant qu’il les marmonne, souvent avec rage, parfois avec tendresse, mais toujours ostensiblement. Pour qu’on sache, tout au moins pour qu’on imagine, qu’il écrit sur eux, pour qu’on lui demande ce qu’il écrit, puis qu’on s’inquiète de ce livre qu’il ne cesse d’écrire depuis que le Projet l’a plus ou moins abandonné. Il lui arrive même de faire semblant d’écrire, afin de montrer qu’il existe, aux aguets et sérieux comme ce philosophe désabusé qu’il prétend être quand il est à court d’excuses à propos de lui-même. Il n’écrit pas de livre. Il écrit pour mettre du temps entre les gorgées de bière ou pour indiquer qu’il ne souhaite pas être dérangé. En fait, un peu comme une buse perchée, Valcourt attend qu’un morceau de vie l’excite pour déployer ses ailes.
Apparaît, au bout de la terrasse, marchant lentement et pompeusement, un Rwandais qui revient de Paris. On le sait à ses vêtements sport si neufs que leur jaune et leur vert choquent même les yeux protégés par des lunettes de soleil. On ricane à une table d’expatriés. On l’admire à quelques tables locales. Le Rwandais qui revient de Paris flotte sur un tapis volant. De la poignée de son attaché-case en croco pendent des étiquettes de Première Classe et de chez Hermès. Il a probablement en poche, outre d’autres étiquettes prestigieuses, une licence d’importation pour quelque produit de seconde nécessité qu’il vendra à un prix de première nécessité.
Il commande une verveine-menthe à si haute voix que trois corbeaux quittent l’arbre le plus rapproché. Gentille, qui vient de terminer ses études de service social et qui est stagiaire, ne sait pas ce qu’est une verveine-menthe. Intimidée, elle lui murmure, si doucement qu’elle ne s’entend pas elle-même, qu’il n’y a que deux marques de bière, la Primus et la Mutzig. Le Rwandais, qui n’écoute pas sur son tapis volant, précise qu’il désire bien évidemment la meilleure, même si c’est plus cher. Gentille lui apportera donc une Mutzig qui pour certains est la meilleure, et la plus chère pour tout le monde. Valcourt griffonne fébrilement. Il décrit la scène et exprime son indignation, ajoutant quelques notes sur les horreurs de la corruption africaine, mais il ne bouge pas.
Le Rwandais de Paris crie : « Petite conasse, et je connais le ministre du Tourisme, sale Tutsie qui couche avec un Blanc pour travailler à l’hôtel. » Il hurle devant sa Mutzig qui n’est pas une verveine-menthe. Et Gentille, qui a un nom aussi joli que ses seins, si pointus qu’ils font mal à son chemisier empesé, Gentille, qui a un visage encore plus beau que ses seins, et un cul plus troublant dans son insolente adolescence que son visage et que ses seins, Gentille, qui n’a jamais souri ni parlé tellement sa beauté la gêne et la paralyse, Gentille pleure. Seulement quelques larmes et un petit snif qu’ont encore les jeunes filles avant que s’installent entre leurs cuisses des odeurs d’homme. Depuis six mois que Valcourt ne pense qu’à une chose entre les cuisses d’Agathe qui vient dans sa chambre quand elle n’a pas de client, plutôt que de prendre le risque de rentrer la nuit à pied à Nyamirambo, depuis six mois qu’il bande à moitié dans Agathe parce qu’il veut transformer les seins de
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