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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
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les Essais de Camus et les Œuvres complètes de Paul Éluard, dans l’édition de la Pléiade. Deux mois plus tard, il buvait une Primus au bord de la piscine qui est au centre de Kigali. Cela faisait près de deux ans qu’il vivait dans cette ville bigarrée et excessive. Il ne croyait plus trop au projet de télévision. Le gouvernement ne cessait de trouver des raisons pour en reporter l’inauguration. On faisait des émissions en circuit fermé et le jugement tombait, toujours le même : « Le rôle du gouvernement n’est pas assez souligné. » Quand le gouvernement était satisfait par les touches de propagande qu’on y insérait, c’étaient les pays donateurs, le Canada, la Suisse et l’Allemagne, qui rechignaient. La télé et Valcourt étaient dans un cul-de-sac. Une seule chose le passionnait. Valcourt avait découvert avec effroi que plus du tiers des adultes de Kigali étaient séropositifs. Le gouvernement niait ses propres statistiques. Les sidéens vivaient dans l’opprobre, la honte, la dissimulation, le mensonge. Seules quelques personnes tentaient de faire face à ce cataclysme et, paradoxalement, c’étaient des curés et des religieuses. Des petites sœurs du Lac-Saint-Jean, de Québec ou de la Beauce qui recueillaient les prostituées et leur apprenaient les vertus de la capote. Des curés, des frères également, les poches de leur soutane bourrées de sachets en plastique qu’ils distribuaient sous le regard protecteur du pape, dont la photo ornait leur bureau. À temps perdu, les fins de semaine, les jours fériés, quand il pouvait sortir une caméra discrètement, Valcourt tournait un documentaire sur le sida et ces héros, pieux et pécheurs.
    Dès son arrivée à Kigali, il avait été saisi par le paysage, par les collines sculptées de mille jardins, par les brumes languissantes qui caressaient le fond des vallées et aussi par le défi qu’on lui proposait. Il allait enfin être utile, changer le cours des événements. Il s’était dit : « Ma vraie vie commence. »
    Mais la vie de Gentille ? Quand commence-t-elle vraiment ?

3
    L’histoire de Gentille, qui regarde toujours le sol et sèche ses larmes sous le regard inquisiteur et concupiscent du barman, commence deux fois.
    La première fois, à une époque où son pays s’appelait le Ruanda-Urundi. Des Allemands s’y étaient installés, mais une guerre dont personne dans son pays n’avait entendu parler changea les Allemands en Belges. On avait expliqué à Kawa, l’arrière-arrière-grand-père de Gentille, que ces soldats, ces fonctionnaires, ces enseignants et ces prêtres tout de blanc vêtus venaient au pays des mille collines pour en faire un protectorat. Une société importante, dont personne n’avait entendu parler non plus, une société qui regroupait des rois, des ministres et autres personnages puissants avait demandé aux Belges de protéger le Ruanda-Urundi. Ils avaient emmené avec eux le Grand Protecteur, un dieu mystérieux et invisible qui se divisait en trois personnes, dont une était un fils. Les Grandes Robes blanches avaient construit pour abriter leur dieu de vastes maisons de briques rouges, ainsi que de plus petites pour eux-mêmes, et d’autres maisons encore dans lesquelles on apprenait à lire et à connaître la vie de la personne qui était le fils du Grand Protecteur. Kawa, qui était hutu et qui désirait une place à la cour du roi tutsi pour son fils aîné, l’inscrivit à l’école, mais refusa de le faire baptiser, car le souverain, le mwami Musinga, résistait à la pression des Grandes Robes blanches. Toutefois, les Belges ne voulaient pas d’un mwami qui croyait en Imana, le créateur, ainsi qu’en Lyangombe, et qui pratiquait la kuragura, la divination, et le culte des ancêtres. Monseigneur Classe, le chef des Grandes Robes blanches, obtint que le fils du mwami, Mutara III, devienne roi à condition qu’il abandonne ses croyances anciennes. Mutara III fut baptisé un dimanche de 1931. Le lundi, Kawa accompagna son fils à l’école et demanda au prêtre de le baptiser et de lui donner le nom de Célestin, qui était aussi celui du bourgmestre belge de sa commune. C’est ainsi que Célestin, quelques jours avant sa mort, raconta sa conversion au grand-père de Gentille.
    Une fois inscrit à la grande école de Butare, Célestin se mit à lire tout ce que les Grandes Robes blanches avaient écrit. Ces gens devaient vraiment communiquer avec Dieu, car

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