Un Jour De Colère
colonne d’attaque. Un nombre presque identique d’hommes –
incluant le malheureux régiment dont le chef, Montholon, est pour l’heure
prisonnier, et ce qui reste du bataillon de Westphalie – resserre le cercle
autour du parc et l’isole de l’extérieur. À ce moment, obéissant aux sonneries
de trompette et aux indications données par les roulements de tambours, le feu
contre les rebelles s’intensifie. Le long de la colonne courent déjà les cris
habituels de « Vive l’Empereur ! » avec lesquels l’armée
française s’encourage à chaque assaut. Lagrange a obtenu un détachement de
sapeurs, qu’il utilisera pour déblayer les obstacles, et quelques grenadiers
moustachus de la Garde impériale. Il est sûr que, placés en tête, ces vétérans,
avec leur réputation d’être invincibles, entraîneront plus efficacement les
jeunes conscrits. Après un dernier coup d’œil, enviant le superbe cheval
pommelé de Jérez que monte son collègue Lefranc – réquisitionné manu militari il y a quinze jours à Aranjuez –, le pacificateur du Caire enfourche son cheval
et constate que tout est au point. Et donc, satisfait de l’épaisse colonne
luisante de baïonnettes qui s’étend de la place de Monserrate aux commanderies
de Santiago, il se carre sur sa selle, assure fermement ses bottes dans les
étriers et demande à Lefranc de venir à son côté.
— Maintenant, oui, si vous
voulez bien, général, déclare-t-il d’un ton sec. Nous allons en finir une fois
pour toutes.
Dix minutes plus tard, du carrefour
de la rue San Bernardo au couvent de Las Maravillas, la rue San José est une
fournaise. L’épaisse fumée de la poudre se tord en spirales que déchirent les
détonations et, au-dessus des roulements de tambours et des sonneries de
trompette des Français, s’élève, de plus en plus violent, le crépitement de la
fusillade. C’est dans ce brouillard que tirent les hommes que le capitaine
Goicoechea dirige depuis les fenêtres supérieures du bâtiment et, avec tout ce
qu’ils ont sous la main – fusils, pierres, tuiles et briques arrachées –, ceux
qui, juchés sur le mur de clôture, essayent d’entraver l’avance française.
Devant l’entrée, les canons tirent à boulets rasants sur la colonne ennemie et,
autour d’eux, se groupent les civils et les soldats que le capitaine Velarde
fait sortir pour affronter les baïonnettes qui approchent.
— Tenez bon !… Pour
l’Espagne et pour Ferdinand VII !… Tenez bon !
Artilleurs, Volontaires de l’État,
civils hommes et femmes, tenant leurs fusils, baïonnettes, sabres et couteaux,
voient surgir dans la fumée, implacables, les shakos des grenadiers ennemis,
les haches et les piques des sapeurs, les shakos noirs et les baïonnettes de la
terrible infanterie impériale. Mais au lieu d’hésiter ou de battre en retraite,
ils restent fermes autour des pièces, bombardant les Français à bout portant,
les bouches des canons presque contre leurs poitrines ; et un dernier coup
de canon lâche, à défaut de mitraille, une grêle de pierres à fusil qui fait
des ravages considérables dans l’avant-garde et étripe le beau cheval du
général Lefranc en envoyant celui-ci rouler à terre, contusionné. Les Français
hésitent devant cette brutale décharge, et les défenseurs qui les voient
marquer un temps d’arrêt sentent leur courage se raffermir.
— Résistez, pour l’Espagne !…
Pensez à l’honneur !… En avant !
Les plus audacieux se jettent sur
les grenadiers, et c’est alors un âpre combat au corps à corps, à coups de
baïonnettes et de crosses, en se servant des fusils déchargés comme de massues.
Dans la mêlée, Tomás Álvarez Castrillón, le journalier José Álvarez et le
soldat des Volontaires de l’État, âgé de vingt-deux ans, Manuel Velarte Badinas
tombent morts ; et le garçon boucher Francisco García, le soldat Lázaro
Cansanillo et Juana Calderón Infante, quarante-quatre ans, qui se bat auprès de
son mari José Beguí, sont blessés. Côté français, les pertes sont nombreuses.
Impressionnés par la férocité de la contre-attaque, les impériaux reculent en
laissant le pavé jonché de morts et de blessés, sous le feu nourri venant des
fenêtres et du haut de la clôture. Puis ils se reforment, poussés par leurs
officiers, lâchent une salve serrée qui décime les défenseurs et avancent de
nouveau, à la baïonnette. La fusillade, intense et terrible, blesse sur
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