Un Jour De Colère
boutonneux s’approche. Aux insignes,
Navarro Falcón constate qu’il appartient au 5 e régiment de la 2 e division d’infanterie qui, à la première heure de la matinée, selon ses
rapports, se trouvait cantonné sur la route du Pardo. Il en déduit que l’armée
impériale a jeté tout ce qu’elle avait dans la mêlée.
— Est-ce que je peux passer
un peu avant, sivouplé ?
— Interdit !
Reculez !
Navarro montre les insignes dorés
sur le col de sa veste.
— Je dirige l’état-major…
— Reculez !
Plusieurs soldats lèvent leurs
fusils, et le colonel, prudent, fait demi-tour. Il sait que le général de
brigade Nicolás Galet y Sarmiento, gouverneur de l’octroi, qui a voulu
intervenir ce matin en faveur de ses fonctionnaires du guichet de Recoletos,
s’est fait tirer dessus par les Français. Mieux vaut donc ne pas défier le
sort. Pour Navarro Falcón, les années de sa jeunesse intrépide, le Brésil, le
Río de la Plata, la colonie de Sacramento, le siège de Gibraltar et la guerre
contre la République française sont désormais trop loin. Aujourd’hui il est sur
le point de passer au grade supérieur – ou du moins l’était-il jusqu’à ce matin
–, et il a envie de voir grandir ses deux petits-enfants. En repartant, à pas
lents pour ne pas compromettre sa dignité, il entend au loin des coups de feu.
Avant de faire demi-tour, il a eu le temps de voir beaucoup d’infanterie et
quatre canons français devant le palais de Montemar, près de la fontaine de
Matalobos. Deux des pièces sont tournées vers la rue San Bernardo et la côte de
Santo Domingo ; ce qui signifie, pour un œil expérimenté comme le sien,
qu’elles sont là pour empêcher tout secours aux assiégés. Les autres canons
prennent en enfilade la rue San José et le parc d’artillerie. Et, tandis qu’il
continue de s’éloigner sans regarder derrière lui, le colonel les entend ouvrir
le feu.
La première rafale de mitraille fait
pleuvoir sur les défenseurs un nuage de poussière, de plâtre pulvérisé et de
morceaux de briques.
— Ils tirent de
Matalobos !… Attention !… Attention !
Avertis des mouvements des Français
par le capitaine Goicoechea et ceux qui observent depuis les fenêtres
supérieures du parc, les gens ont le temps de chercher un abri, et la première
décharge ne fait que deux blessés. Bernardo Ramos, âgé de dix-huit ans, et
Ángela Fernández Fuentes, vingt-huit ans, qui se trouve là pour accompagner son
mari, un charbonnier de la rue de la Palma nommé Ángel Jiménez, sont évacués au
couvent de Las Maravillas.
— Les artilleurs dans la rue,
et baissez-vous ! crie le capitaine Daoiz. Les autres,
abritez-vous !… À couvert, vite !… À couvert !
L’ordre est opportun. Presque
immédiatement suit un deuxième coup de canon français, puis un troisième, avant
que le feu ne devienne précis et constant, avec un grand renfort de fusillade
depuis toutes les encoignures, les terrasses et les toits. Pour Luis Daoiz, le
seul à rester debout au milieu des canons malgré le feu effroyable qui balaye
la rue, l’intention des Français est claire : ne pas laisser le moindre
répit aux défenseurs et les forcer à garder la tête baissée en les soumettant à
une guerre d’usure, préparation à un assaut général. C’est pour cela qu’il
continue de crier à ses gens de se protéger et d’économiser les munitions
jusqu’à ce que l’infanterie ennemie arrive à portée de tir. Il ordonne aussi au
capitaine Velarde, qui l’a rejoint en pleine canonnade pour demander des
instructions, de maintenir les siens à l’intérieur du parc, prêts à sortir
quand apparaîtront les baïonnettes ennemies.
— Et toi, reste avec eux,
Pedro. Tu m’entends ?… Tu n’as rien à faire ici, et quelqu’un doit prendre
le commandement si je tombe.
— Si tu continues à te tenir
debout ainsi, je n’aurai pas longtemps à attendre.
— Je te dis de rentrer. C’est
un ordre.
Très vite, le bombardement
assourdissant – l’onde de choc des coups de canons se répand dans la rue,
résonne dans toutes les poitrines en même temps que le crépitement de la
mitraille – et l’intense mousqueterie française commencent à faire des dégâts.
Le pilonnage augmente, le sang coule, et certains de ceux qui se sont réfugiés
sous les porches voisins, dans le verger ou derrière la grille du couvent, se
débandent et s’enfuient où ils peuvent. C’est le cas
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