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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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Puis il regarde autour de lui et se dit : Les
pauvres gens.
    Pied à terre au milieu de la
confusion du combat, presque au premier rang de ses troupes, le général de
division Joseph Lagrange ordonne le cessez-le-feu. À quelques pas derrière lui,
à côté du général de brigade Lefranc, tout meurtri, se tient un haut dignitaire
espagnol, le marquis de San Simón, qui, en uniforme de capitaine général et
portant tous ses insignes et décorations, a réussi, à la dernière heure, à s’ouvrir
un chemin jusque-là pour les supplier d’arrêter cette folie, en offrant ses
services pour convaincre ceux qui résistent encore à l’intérieur du parc
d’artillerie de lui obéir. Le général Lefranc, effrayé par les terribles pertes
subies par ses hommes dans l’assaut, n’est guère enthousiaste à l’idée de
continuer le combat quartier par quartier pour déloger les rebelles des
bâtiments où ils se sont réfugiés ; aussi accède-t-il à la demande du
vieil Espagnol, qu’il connaît. Des drapeaux blancs sont agités, et la sonnerie
de trompette répétée fait son effet sur les soldats disciplinés de l’armée
impériale qui arrêtent de tirer et d’achever les quelques survivants qui
restent entre les canons. Coups de feu et cris cessent, tandis que la fumée se
dissipe, et les adversaires, qui n’en peuvent plus, se regardent : des
centaines de Français autour des canons et dans la cour de Monteleón, et les
Espagnols, aux fenêtres et en haut des murs criblés de mitraille, qui jettent
leurs fusils et fuient vers le bâtiment principal, ainsi que le petit groupe de
ceux qui sont encore debout dans la rue, si noirs de poudre qu’il est difficile
de distinguer les civils des militaires, couverts de sang et regardant autour
d’eux avec les yeux hallucinés d’hommes qui s’entendent annoncer un sursis au
seuil même de la mort.
    — Reddition immédiate, ou pas
de quartier ! crie l’interprète du général Lagrange. Bas les armes, ou
vous serez tous exécutés !
    Après un moment d’hésitation,
presque tous obéissent lentement, épuisés. Comme des somnambules. Suivant le
général Lagrange qui s’ouvre un passage entre ses hommes, le marquis de San
Simón contemple avec horreur la rue couverte de cadavres et de blessés qui
s’agitent et gémissent. La quantité de civils, parmi lesquels beaucoup de femmes,
qui se trouvent mêlés aux militaires le laisse interdit.
    — Vous êtes tous prisonniers,
crie l’interprète, répétant les paroles de son général. Le parc est sous
l’autorité de l’armée impériale par droit de conquête !
    Un peu plus loin, le marquis de San
Simón aperçoit un officier d’artillerie que le général français est en train
d’insulter. L’officier est à genoux contre un des canons, le visage livide, une
main comprimant la blessure de sa jambe ensanglantée et l’autre tenant encore
son sabre. Il doit s’agir, déduit San Simón, du capitaine Daoiz, qu’il ne
connaît pas personnellement mais dont il sait – à cette heure, tout Madrid est
au courant – qu’il est le responsable du soulèvement du parc. En avançant,
curieux de le voir de plus près, le vieux marquis saisit quelques mots des
vociférations que le général français, mis hors de lui par le massacre, adresse
au blessé dans un français grossier mêlé de mauvais espagnol. Il parle
d’irresponsabilité, de folie, tandis que l’autre le regarde dans les yeux,
impassible, sans baisser la tête. À cet instant, Lagrange, qui tient son sabre
à la main, frappe avec mépris de la pointe de celui-ci une des épaulettes de
l’artilleur.
    —  Traître ! lance-t-il.
    Il est évident que le capitaine
blessé – maintenant, le marquis de San Simón est certain que c’est Luis Daoiz –
comprend le français, ou du moins devine le sens de l’insulte. Car son visage,
que la perte de sang a rendu livide, s’empourpre brusquement en s’entendant
traiter ainsi. Puis, sans prononcer un mot, il se redresse subitement avec une
grimace de douleur, au prix d’un violent effort de sa jambe saine, et lance un
coup de sabre qui traverse le Français. Lagrange tombe à la renverse dans les
bras de ses aides de camp, évanoui et perdant du sang par la bouche. Et tandis qu’autour
d’eux tout n’est plus que cris et confusion, des grenadiers qui se tiennent
derrière le capitaine percent celui-ci de leurs baïonnettes.
     

8
    Le colonel Navarro Falcón arrive au
parc de

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