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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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Monteleón peu après les trois heures de l’après-midi, quand tout est
terminé. Et il est épouvanté par ce qu’il voit. Le mur de clôture est criblé
d’impacts de balles et la rue San José, l’entrée et la cour de la caserne
jonchées de décombres et de cadavres. Les Français rassemblent sur l’esplanade
une trentaine de civils prisonniers, et ils désarment les artilleurs et les
Volontaires de l’État en les regroupant à part. Navarro Falcón se présente au
général Lefranc qui le reçoit très fraîchement – on est encore en train de
soigner le général Lagrange, blessé par le sabre de Daoiz –, puis parcourt les
lieux en s’informant du sort des uns et des autres. Le capitaine Juan Cónsul,
qui appartient à l’artillerie, lui fait un premier rapport sur la situation.
    — Où est Daoiz ? demande
le colonel.
    Cónsul, dont le visage porte les
traces du combat, fait un geste vague, signe d’une extrême fatigue.
    — On l’a porté chez lui, très
gravement atteint. Il n’y avait pas de brancard, on l’a allongé sur une échelle
et un manteau.
    — Et Pedro Velarde ?
    Le capitaine indique des cadavres
entassés près de la fontaine de la cour.
    — Là.
    Le corps disloqué de Velarde est
avec les autres, nu, car les Français l’ont dépouillé de ses vêtements. La
veste verte d’état-major a suscité la concupiscence des vainqueurs. Navarro
Falcón reste immobile, paralysé par la stupeur. C’est encore pire que tout ce
qu’il avait imaginé.
    — Et les secrétaires de mon
bureau qui sont allés avec lui ?… Où est Rojo ?
    Cónsul le contemple comme s’il avait
du mal à comprendre ce qu’on lui dit. Il a les yeux rougis et le regard opaque.
Au bout d’un moment, il hoche lentement la tête.
    — Mort, je crois.
    — Mon Dieu… Et Almira ?
    — Il a suivi Daoiz.
    — Et les autres ?… Les
artilleurs et le lieutenant Arango ?
    — Arango est vivant. Je l’ai vu
là-bas, avec les Français… Nous avons perdu sept artilleurs, morts ou blessés.
Plus du tiers de ceux que nous avions ici.
    — Et les Volontaires de
l’État ?
    — Chez eux aussi, il y a eu
beaucoup de pertes. La moitié, au moins. Et plus de soixante civils.
    Le colonel ne peut écarter son
regard du cadavre de Pedro Velarde : il a les yeux grands ouverts, la
bouche béante, la peau livide comme de la cire, et la blessure causée par la
balle est nettement visible près du cœur.
    — Vous êtes des fous… Comment
avez-vous pu faire une chose pareille ?
    Cónsul désigne une flaque de sang
près des canons, là où Daoiz est tombé après avoir traversé de son sabre le
général français.
    — Luis Daoiz en a assumé la
responsabilité, dit-il en haussant les épaules. Et nous l’avons suivi.
    — Vous l’avez suivi ?…
Mais c’était une monstruosité ! Une folie qui va nous coûter cher, à nous
tous !
    Un capitaine, aide de camp du
général Lariboisière commandant de l’artillerie française, interrompt leur
conversation. Après avoir demandé au colonel dans un espagnol correct s’il est
bien le chef de la place, il le prie de lui remettre les clefs des magasins, du
musée militaire et de la trésorerie. La caserne ayant été prise par les armes,
tout ce qu’elle contient appartient à l’armée impériale.
    — Je n’ai rien à vous remettre,
répond Navarro Falcón. Vous avez déjà tout pris, vous n’avez nul besoin de ces
fichues clefs.
    — Pardon ?
    — Foutez-moi la paix, mon
vieux.
    Le Français, déconcerté, regarde le
colonel, puis Cónsul, comme s’il prenait ce dernier à témoin de la grossièreté
de son supérieur, enfin, sèchement, il fait demi-tour et s’éloigne.
    — Qu’allons-nous devenir ?
demande Cónsul.
    — Je l’ignore. Je n’ai pas
d’instructions, et les Français agissent à leur guise… Essayez de sortir d’ici
avec vos artilleurs dès que possible. Sinon…
    — Mais le capitaine général… La
Junte de Gouvernement…
    — Ne me faites pas rire.
    Cónsul fait un geste en direction du
groupe des Volontaires de l’État qui, avec le capitaine Goicoechea, attendent
dans un coin de la cour, désarmés et épuisés.
    — Et eux ?
    — Je ne sais pas. Leurs chefs
devront s’en occuper, je suppose. Le colonel Giraldes interviendra
probablement… Pour ma part, je vais envoyer une note au capitaine général en
lui expliquant que les artilleurs ont été embarqués malgré eux dans l’affaire,
par la faute

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