Un Jour De Colère
moindre provocation de sa part.
— Ils l’ont fusillé ?
demande, angoissé, Pepe de la Peña.
— À l’heure qu’il est,
sûrement.
Queipo de Llano relate à ses amis ce
qu’il a fait. Après s’être rendus, lui et Mon, au domicile d’Antonio Oviedo,
ils ont appris qu’il avait été conduit au Prado avec d’autres prisonniers et
que là, malgré les promesses de Murat et les affirmations que tout était
arrangé et terminé, on exécutait sans procès ni autres considérations les
révoltés comme les innocents. Alarmés, les deux amis sont allés chez don Antonio
Arias Mon, lequel, gouverneur du Conseil et membre de la Junte de Gouvernement,
est aussi un parent du jeune Marcial Mon et de Queipo de Llano.
— Le pauvre vieux était recru
de fatigue et faisait sa sieste… Il avait confiance, comme tout le monde, dans
la promesse de Murat. Et quand nous avons réussi à le réveiller et à lui
rapporter ce qui se passait, il ne pouvait y croire !… Tant cela choquait
son honnêteté !
— Et qu’a-t-il fait ?
— Ce que pouvait faire toute
personne respectable. Finalement convaincu de la véracité de ce que nous lui
contions, il s’est lamenté en disant : « Et moi qui, de bonne foi, ai
œuvré à désarmer le peuple, en engageant ma parole ! » Puis il nous a
confié, rédigé et signé de sa main, un ordre de remettre Oviedo en liberté, en
quelque endroit qu’il se trouve. Nous avons couru avec cette lettre de tous
côtés, en passant entre les Français, toujours plus de Français…
— Qui nous ont causé de belles
frayeurs, précise Marcial Mon.
— Bref, nous avons fini notre
périple à l’hôtel des Postes, poursuit Queipo de Llano, où c’est le général
Sexti qui commande pour la partie espagnole. Enfin, « commander » est
un euphémisme.
— Je connais Sexti, dit Miguel
de la Peña. Un Italien fat et prétentieux, au service de l’Espagne.
— Eh bien, ce misérable paye
fort mal sa patrie d’adoption.
Avec la plus extrême froideur du
monde, il a regardé l’ordre, haussé les épaules et dit sèchement :
« Il faudra que vous vous entendiez avec les Français… » Ça n’a servi
à rien que nous lui rappelions qu’il est responsable, avec le général Grouchy,
du tribunal militaire. Il nous a répondu que, pour éviter toute contestation,
il livre tous les prisonniers aux Français et qu’il s’en lave les mains.
— L’infâme ! s’écrie Pepe
de la Peña.
— C’est bien ce que je lui ai
dit, presque dans ces termes, et il m’a tourné le dos. J’ai même cru un instant
qu’il allait nous faire arrêter.
— Et Grouchy ?
— Il a refusé de nous recevoir.
Un aide de camp nous a éconduits de la manière la plus grossière, et nous avons
eu de la chance qu’on nous ait laissés partir sans autre violence. Je crains
qu’à cette heure le pauvre Oviedo…
Les quatre amis restent silencieux.
À travers les fenêtres fermées leur parvient le bruit d’une salve lointaine.
— J’entends des pas dans
l’escalier, dit Miguel de la Peña.
Tous s’alarment, car nul n’est sûr
de rien, cette nuit à Madrid. Marcial Mon se décide finalement à se diriger
vers la porte, l’ouvre et fait un pas en arrière, comme s’il venait de voir un
spectre.
— Antonio !… C’est Antonio
Oviedo !
Avec des exclamations de joie, ils
se précipitent sur leur ami qui arrive pâle et défait, les habits en désordre.
Porté presque à bout de bras sur un sofa, il parvient à se remettre grâce à un
verre d’alcool qu’on lui tend pour qu’il reprenne quelques couleurs et puisse
parler. Après quoi, Oviedo raconte son histoire : celle de tant de
Madrilènes qui, aujourd’hui, se trouvent face à un peloton d’exécution, à cette
heureuse différence près que, sur le point d’être fusillé, il a dû la vie à la
bienveillance d’un officier français qui a reconnu en lui un client habituel de
la Fontaine d’Or.
— Et les autres ?
— Morts… Tous morts.
L’horreur se lit dans ses yeux et,
absent, dans la nuit qui obscurcit la ville, Antonio Oviedo avale d’un trait le
reste de son verre. Le jeune Queipo de Llano, qui entoure son ami de ses soins
les plus tendres, s’aperçoit avec effroi qu’il lui est venu des cheveux blancs.
Les impressions de la journée qu’ils
viennent de vivre affectent aussi la raison d’autres malheureux. C’est le cas
de Joaquín Martínez Valente, né à Saragosse, dont le
Weitere Kostenlose Bücher