Un Jour De Colère
et recevoir ses instructions. Dans la lettre, publiée quelques
jours plus tard par le Moniteur de Paris, le chef des troupes espagnoles
casernées dans la ville résume parfaitement son point de vue sur la journée qui
s’achève :
Votre Altesse comprendra la
douleur qu’a pu ressentir un militaire espagnol en voyant couler dans les rues
de cette capitale le sang de deux nations qui, destinées à l’alliance et à
l’union les plus étroites, ne devraient s’occuper de rien d’autre que de
combattre nos ennemis communs. Que Votre Altesse daigne me permettre de lui
exprimer ma gratitude, non seulement pour les éloges quelle prodigue à la
garnison de cette cité et pour les bontés dont elle me comble, mais aussi pour
sa promesse de faire cesser les mesures de rigueur aussi promptement que les
circonstances le permettront. V. A. confirme de la sorte l’opinion qui l’avait
précédée dans ce pays et qui annonçait les vertus dont elle est parée. Je
connais parfaitement la droiture des intentions de V. A., en voyant tous les
avantages qui, indubitablement, doivent en résulter pour ma patrie. Que V. A.
sache qu’elle peut compter sur mon adhésion la plus sincère et la plus absolue.
Dans la crypte de l’église San
Martín, seuls cinq amis de Daoiz et de Velarde, avec les fossoyeurs Pablo Nieto
et Maríano Herrero, veillent les deux capitaines : leurs camarades Joaquín
de Osma, Vargas et César González, le capitaine des Gardes wallonnes Javier
Cabanes et le secrétaire Almira. Les cadavres ont été amenés à la nuit tombante
en passant discrètement par la rue de la Bodeguilla, puis par la porte et les
escaliers situés derrière le grand autel. Daoiz est arrivé à la dernière heure
de l’après-midi dans un cercueil, depuis sa maison de la rue de la Ternera,
avec les bottes et l’uniforme qu’il portait quand il est mort à Monteleón. Le
corps de Velarde est venu un peu plus tard, conduit par quatre artilleurs du
parc sur deux planches de lit avec quelques bâtons en travers, nu, tel que
l’ont laissé les Français, enveloppé dans une toile de tente de campagne que
les soldats ont prise avant de partir. Quelqu’un a glissé le corps dans un
vêtement de franciscain par souci de décence, et désormais les deux capitaines
gisent côte à côte, l’un en uniforme, l’autre en robe de bure. La rigidité
cadavérique maintient le visage de Daoiz tourné vers le ciel, et celui de
Velarde penché vers la gauche – parce qu’il a refroidi à même le sol du parc –
comme s’il attendait un dernier ordre de son camarade. À la tête des cercueils,
inconsolable, Manuel Almira pleure ; et le long des murs humides et noirs,
à peine éclairés par deux veilleuses de cire posées près des cadavres, se
tient, silencieux, le petit groupe de ceux qui ont pris le risque d’être
présents, car les autres, à cette heure, se cachent ou fuient la vengeance
française.
— A-t-on des nouvelles de Ruiz,
le lieutenant des Volontaires de l’État ? demande Joaquín de Osma.
— Il a été examiné par un
chirurgien français qui a sondé sa blessure, répond Javier Cabanes. Puis on l’a
porté à son domicile. Je l’ai appris tout à l’heure par don José Rivas, le
professeur de San Carlos, qui est allé le voir un moment.
— C’est grave ?
— Très.
— En voilà un, au moins, que
les Français n’arrêteront pas.
— N’en sois pas si certain.
Mais, de toute manière, sa blessure semble mortelle… Je ne crois pas qu’il s’en
sorte.
Les militaires se regardent,
inquiets. Le bruit court que Murat a changé d’idée et qu’il veut maintenant
arrêter tous ceux qui ont été mêlés au soulèvement du parc d’artillerie, sans
faire de distinction entre civils et militaires. La nouvelle est confirmée par
les capitaines Juan Cónsul et José Cordoba qui, à ce moment, descendent dans la
crypte. Ils dissimulent tous deux le bas de leur visage et ne portent pas de
sabre.
— J’ai vu dans la rue,
attachés, plusieurs artilleurs, rapporte Cónsul. Les Français sont aussi allés
prendre des Volontaires de l’État qui se sont battus… Il semble bien que Murat
veuille une punition exemplaire.
— Je croyais qu’ils ne
fusillaient que des civils pris les armes à la main, s’étonne le capitaine
Vargas.
— Eh bien, tu vois, le cercle
s’élargit.
Les militaires échangent de nouveau
des regards nerveux, tout en baissant la voix. Seuls Cónsul, Cordoba
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