Un Jour De Colère
frère Francisco, âgé de
vingt-sept ans, avocat des Collèges royaux, tenait à la Puerta del Sol un
commerce conjointement avec leur oncle, Jerónimo Martínez Mazpule. Leur
boutique est restée fermée toute la journée, et ils l’ont rouverte à la fin de
l’après-midi, la paix revenue ; à la dernière heure, des soldats français
et deux mamelouks se sont présentés. Prétextant que des tirs étaient partis de
là le matin, ils ont entouré l’oncle et le neveu sur le seuil de leur commerce.
Martínez Mazpule a réussi à leur échapper en barricadant la porte. Mais pas
Francisco Martínez Valente, frappé et traîné jusqu’à la porte de la boutique
voisine. Là, malgré les efforts des employés pour le faire entrer et le sauver,
l’avocat a reçu un coup de pistolet qui lui a fait sauter la cervelle en
présence de son frère qui accourait à son aide. Maintenant, égaré par la vision
et la terreur de l’abominable supplice, Joaquín Martínez Valente délire, reclus
dans la maison de son oncle, en poussant des hurlements qui font trembler tout
le voisinage. Il mourra quelques mois plus tard, à l’asile de fous de
Saragosse.
Nombreux sont les pauvres gens
étrangers à la révolte qui continuent de tomber victimes des représailles,
malgré la publication de la paix, ou parce qu’ils ont cru en celle-ci. En
dehors des exécutions organisées qui se poursuivront jusqu’à l’aube, beaucoup
de Madrilènes sont assassinés durant la nuit pour s’être aventurés à leurs
balcons ou à leurs portes, avoir eu de la lumière à une fenêtre, ou s’être
trouvés à portée de tir des fusils français. C’est ainsi que le berger de
dix-neuf ans Antonio Escobar Fernández meurt d’une balle près du Manzanares,
alors qu’il revient avec ses brebis dans l’obscurité ; et une sentinelle
abat la veuve María Vais de Villanueva qui se rend au domicile de sa fille, au
13 de la rue Bordadores. Les tirs sporadiques de la soldatesque ivre, par
provocation ou par vengeance, tuent également des innocents dans leurs foyers.
C’est le cas de Josefa García, quarante ans, qu’une balle blesse à mort parce
qu’elle se tient près d’une fenêtre éclairée, dans la rue de l’Almendro. C’est
aussi celui de María Raimunda Fernández de Quintana, la femme d’un domestique
du palais Cayetano Obregón, qui attend sur son balcon le retour de son mari, et
d’Isabel Osorio Sánchez, qui est frappée au moment où elle arrose les fleurs de
sa maison, rue Rosario. Meurent également, rue Leganitos, l’enfant de douze ans
Antonio Fernández Menchirón et ses voisines Catalina González de Aliaga et Bernarda
de la Huelga ; dans la rue Torija, la veuve Mariana de Rojas y
Pineda ; dans la rue Molino de Viento, la veuve Manuel Diestro
Nublada ; et dans la rue Soldado, Teresa Rodríguez Palacios, trente-huit
ans, alors qu’elle allume un quinquet. Dans la rue Toledo, au moment où le
commerçant en lingerie Francisco Lopez s’apprête à dîner en famille, une
décharge frappe les murs, brise les vitres d’une fenêtre et le tue d’une balle.
Sur les dix heures du soir, pendant
que les gens meurent encore dans leurs maisons et que des files de prisonniers
sont dirigées vers les lieux d’exécution, l’infant don Antonio, président de la
Junte de Gouvernement, qui a écrit au duc de Berg pour intercéder en faveur des
condamnés, reçoit la note suivante, signée de Joachim Murat :
Monsieur mon cousin. J’ai reçu la
notification de Votre Altesse royale concernant le projet qu’ont des militaires
français de brûler des maisons d’où sont partis de nombreux coups de feu. Je
fais part à V. A. R. de ma décision de remettre l’affaire entre les mains du
général Grouchy, en lui recommandant de recueillir toutes les informations
possibles. V. A. R. me demande la remise en liberté de certains habitants qui
ont été pris les armes à la main. En conformité avec mon ordre du jour, et pour
qu’il en soit désormais pris acte, ils seront passés par les armes. Je ne doute
pas que ma détermination recevra votre approbation.
À la même heure, Francisco Javier
Negrete, capitaine général de Madrid, écrit, avant d’aller au lit, une lettre
au duc de Berg. Il en rédige le brouillon à la lueur d’un candélabre, en
chaussons et robe de chambre, tandis que, dans la chambre voisine, son valet
brosse l’uniforme dans lequel il se présentera demain devant Murat pour le
complimenter
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