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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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et Almira
ont été à Monteleón, mais tous sont compromis par leur amitié avec les morts et
leur présence en ce lieu. Les Français fusillent pour moins que cela.
    — Et que fait le colonel
Navarro Falcón ? murmure César González. Il a dit qu’il intercéderait en
faveur de ses hommes.
    En parlant, le militaire garde un
œil soupçonneux fixé sur l’escalier de la crypte, où veille l’un des croque-morts.
Cette nuit, on doit craindre autant les impériaux que ceux – ils ne manquent
jamais, dans les périodes troublées – qui veulent se ménager leurs bonnes
grâces. Des mois plus tard, quand l’Espagne entière sera désormais soulevée
contre Napoléon, il se trouvera même un officier, parmi ceux qui ont combattu
aujourd’hui au parc, le lieutenant Felipe Carpegna, pour prêter serment au roi
Joseph et se battre dans le camp français.
    — Je ne sais si Navarro
intercède, ni auprès de qui, dit Juan Cónsul. La seule chose qu’il répète à qui
veut l’entendre, c’est qu’il ne se considère pas comme responsable et qu’il ne
sait rien ; mais que s’il s’était trouvé aujourd’hui à Monteleón, il
serait demain à des lieues de Madrid.
    — Alors nous sommes
perdus ! s’exclame Cordoba.
    — S’ils nous prennent, tu peux
en être sûr, confirme Juan Cónsul. Moi, je quitte la ville.
    — Et moi aussi. Dès que je
serai passé chez moi pour rassembler quelques affaires.
    — Faites attention, leur
recommande Cabanes. Ne perdez pas de temps.
    Les militaires s’embrassent, en
jetant un dernier regard sur Daoiz et Velarde.
    — Adieu à tous. Bonne chance.
    — Oui. Que Dieu nous protège
tous… Vous venez, Almira ?
    — Non. – Le secrétaire fait un
geste en direction des corps des deux capitaines. – Quelqu’un doit les veiller.
    — Mais les Français…
    — Je me débrouillerai. Partez.
    Les autres ne se font pas prier. Le
lendemain matin, quand les fossoyeurs Nieto et Herrero enterreront les cadavres
dans la plus grande discrétion, seul Manuel Almira sera là, fidèle jusqu’à la
fin. Daoiz sera inhumé dans la crypte même, sous l’autel de la chapelle de
Notre-Dame de Valbanera, et Verlarde enterré dehors, avec d’autres morts de la
journée, dans la cour de l’église et près d’un puits d’eau limpide, dans un
endroit appelé El Jardinillo – le petit jardin. Des années après,
Herrero témoignera : « Nous avons pris la précaution de laisser les
corps des susnommés Luis Daoiz et Pedro Velarde le plus près possible de la
surface, pour le cas où, dans quelque temps, il serait possible de les
transférer en un autre lieu plus digne d’honorer leur mémoire. »
    Ildefonso Iglesias, infirmier à
l’hôpital du Buen Suceso, s’arrête, horrifié, sous la voûte qui fait
communiquer la cour et le cloître. À la lueur de la lanterne que porte son
camarade Tadeo de Navas, l’amoncellement des cadavres bouleverserait les plus
insensibles. Iglesias et son compagnon ont vu beaucoup d’atrocités au cours de
la journée, puisqu’ils l’ont passée tous les deux, au risque de leur vie, à
soigner les blessés et à transporter les morts quand les tirs des Français le
leur permettaient. Pourtant, le spectacle lamentable qu’offrent l’église et
l’hôpital qui jouxtent la Puerta del Sol leur fait dresser les cheveux sur la
tête. Quelques corps ont été retirés à la nuit tombante par les amis et les
parents assez courageux pour oser s’exposer aux balles françaises, mais la
plupart de ceux qui ont été fusillés à trois heures de l’après-midi sont
toujours là : livides, inertes, sur de grandes flaques de sang coagulé,
ils répandent la puanteur de leurs entrailles déchiquetées et de leurs viscères
à l’air. La puanteur de la mort et de la solitude.
    — Ils ont bougé, chuchote
Iglesias.
    — Ne dis pas de bêtises.
    — Je t’assure. Quelque chose a
bougé parmi ces morts.
    Prudemment, le cœur battant, les
deux infirmiers s’approchent des cadavres en élevant la lanterne pour les
éclairer. Il en reste quatorze : yeux vitreux, bouche entrouverte et mains
crispées, dans toutes les postures où la mort les a surpris ou tels que les
Français les ont laissés après les avoir assassinés, non sans avoir pratiqué
sur eux leurs ultimes larcins.
    — Tu as raison, balbutie Navas
abasourdi. Il y a quelque chose qui bouge de ce côté.
    Alors qu’ils approchent encore la
lanterne, un gémissement léger,

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