Un Jour De Colère
d’une balle dans la
nuque. À ses côtés, il voit tomber, l’un après l’autre, les douaniers Gaudosio
Calvillo, Francisco Parra et Francisco Requena, et le jardinier de la duchesse
de Frías Juan Fernández López.
Devant le parc de Monteleón, la rue
San José n’est plus d’un bout à l’autre qu’un vaste pandémonium, coups de
tonnerre et épais nuages de fumée. Les balles crépitent de toutes parts,
ponctuées par les détonations et les éclairs de l’artillerie.
— Abritez-vous ! crie
d’une voix rauque le capitaine Daoiz. Tous ceux qui ne sont pas aux canons, ne
restez pas à découvert !
Les Français ont retenu la leçon des
échecs précédents : ils ne tentent pas de donner l’assaut, mais ils
resserrent le cercle depuis les rues San Bernardo, Fuencarral et de la Palma,
en détachant des tireurs qui prennent les défenseurs du parc sous un feu
intense. De temps à autre, ils décident de s’emparer d’un porche ou de nettoyer
une maison et lancent des attaques ponctuelles de petits détachements qui
avancent collés aux murs ; mais leurs efforts sont contrecarrés par le feu
des civils retranchés dans les appartements voisins, des Volontaires de l’État
qui tirent du troisième étage du bâtiment du parc, et des quatre canons postés
devant la porte qui battent les rues dans toutes les directions. Même ainsi,
ceux qui servent les pièces d’artillerie ou qui, le long du mur, tirent à plat
ventre sur la chaussée, subissent des pertes. Très éprouvés par les tireurs
français dont les balles passent au-dessus de leurs têtes ou ricochent sur la
chaussée, les hommes de l’hôtelier Fernández Villamil, aveuglés par la fumée
des décharges, se voient forcés de se retirer à l’intérieur du parc, après que
la fusillade ennemie a tué le mendiant de la place Antón Martín – on ne saura
jamais son nom – et blessé à la tête Antonio Claudio Dadina, orfèvre de la rue
de la Gorguera, que les frères Muñiz, à quatre pattes pour éviter les balles et
fusils dans le dos, traînent par les pieds pour le mettre à l’abri.
— Il ne reste que deux boîtes
de mitraille, mon capitaine !
— Tirez au boulet… Et gardez
les boîtes pour quand les Français seront plus près.
— À vos ordres !
Debout entre les canons, marchant de
long en large, sabre à l’épaule comme à la parade, le visage apparemment
tranquille, Luis Daoiz dirige le feu des servants des quatre pièces, pendant
que les tirs ennemis convergent sur son corps. La chance, pourtant, sourit au
capitaine : aucun des frelons de plomb qui passent en vrombissant ne
l’atteint.
— Ruiz !
Le lieutenant Ruiz, qui aide à charger
une des pièces de huit livres, se tient debout dans la fumée du combat. Il est
plus pâle que la veste de son uniforme, mais ses yeux brillent, rougis par la
fièvre.
— À vos ordres, mon
capitaine !
Une balle frôle l’épaulette droite
de Daoiz, qui sent son estomac se rétracter. Cela ne peut plus durer longtemps,
pense-t-il. D’un instant à l’autre, ces salauds auront ma peau.
— Vous voyez ces Français qui
se rassemblent au coin de la rue San Andrés ? Vous pensez que vous pourrez
les atteindre avec votre canon ?
— Si nous le déplaçons de
quelques pas, je peux essayer.
— Alors, allez-y.
D’autres balles françaises sifflent
entre les deux hommes. Le lieutenant Ruiz cherche à voir d’où elles viennent
d’un air agacé, comme si un malotru s’immisçait dans la conversation. Un brave
garçon, pense Daoiz. Je ne l’avais jamais vu avant, mais ce petit lieutenant me
plaît. J’aimerais bien qu’il s’en sorte.
— Alonso !…
Portales !… Aidez-moi à bouger cette pièce !
Le caporal Eusebio Alonso et
l’artilleur valencien de trente-trois ans José Portales Sánchez, qui viennent
de charger un canon dont le feu est dirigé par le lieutenant Arango, accourent
en baissant la tête pour éviter les balles et se mettent aux roues de l’affût.
Au milieu de la manœuvre, Portales est touché et s’effondre sans un cri. En le
voyant tomber, une jolie jeune femme qui, méprisant les balles, jupe
retroussée, apporte deux gargousses depuis la porte du parc se joint à leur
groupe.
— Ôtez-vous de là, madame, lui
ordonne Alonso.
— Ôte-toi de là toi-même, malappris !
Cette femme – les artilleurs le
sauront plus tard – se nomme Ramona García Sánchez, elle a trente-quatre ans et
habite tout près de là, rue
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