Un Jour De Colère
dans les rues avoisinantes, la résistance est en train de
s’éteindre. Appuyée par un canon qui balaye la large avenue, l’infanterie
française avance de maison en maison, tirant à titre préventif sur chaque
balcon, fenêtre ou entrée de rue. Le sol est jonché de nombreux morts et
blessés que personne ne relève.
Peu après la capture de Cubas
Saldaña, les deux groupes qui se battent encore rue Atocha et place Antón
Martín sont anéantis. C’est ainsi que tombent, poursuivis jusqu’à la porte
d’une cour de la Magdalena et mitraillés par le canon qui tire depuis la place,
Francisco Balseyro María, journalier de quarante-neuf ans, la Galicienne de
trente ans Manuela Fernández, blessée à la tête par un éclat, et le valet
asturien Francisco Fernández Gómez, le bras gauche arraché par la mitraille. De
ce groupe, seuls parviennent à se sauver le chevrier Matías López de Uceda, qui
agonise, et deux hommes, également blessés, qui le portent : son fils
Miguel et le journalier de Palencia Domingo Rodríguez González. En faisant
force détours, ils tentent de se diriger vers l’Hôpital général, sans qu’aucune
des portes auxquelles ils frappent en chemin s’ouvre ni que personne les
secoure.
— Dispersez-vous !… Sauve
qui peut !
Le second groupe connaît le même
sort. En pleine débandade, près de la rue de la Flor, fauchés par la mitraille,
tirés comme des lapins, tombent le musicien de vingt-sept ans Pedro Sessé y
Mazal, le domestique de l’Hospice des enfants trouvés Manuel Anvías Pérez,
trente-trois ans, et le portefaix léonais Fulgencio Álvarez, vingt-quatre ans.
Ce dernier, blessé à la jambe, est rejoint par les Français, se défend avec sa
navaja et meurt criblé de coups de baïonnettes. La fin du jeune Donato Archilla
y Valiente, âgé de dix-huit ans, n’est guère plus enviable : son camarade
de combat Pascual Montalvo, boulanger, qui fuit avec lui dans la rue de León,
le voit se faire rattraper et emmener, attaché, vers le Prado. Montalvo se
débarrasse sous un porche du sabre français qu’il avait à la main, suit de loin
son ami pour voir où on le conduit et obtenir, s’il le peut, sa libération. Peu
après, caché derrière une haie de la promenade du Prado, il le verra fusiller
contre le mur du collège Jésus Nazareno en compagnie de Miguel Cubas Saldaña.
Tous les morts de la place Antón
Martín ne sont pas des combattants. C’est le cas, par exemple, du chirurgien de
quatre-vingt-deux ans Fernando González de Pereda, qui est tué d’une balle près
de la fontaine pendant que, aidé de brancardiers volontaires, il secourt les
victimes des deux camps. Comme lui, plusieurs médecins, chirurgiens et
infirmiers des hôpitaux tombent dans l’accomplissement de leur devoir
d’humanité : le chirurgien Juan de la Fuente y Casas, trente-deux ans, meurt
en traversant la place Santa Isabel avec des infirmiers et du matériel de
premiers secours ; Francisco Javier Aguirre y Angulo, un médecin de
trente-trois ans, reçoit une balle d’une sentinelle française pendant qu’il
soigne des blessés abandonnés dans la rue Atocha ; et Carlos Nogués y
Pedrol, titulaire de la chaire de médecine clinique à l’université de
Barcelone, a une cuisse brisée par une balle au moment où, après avoir secouru
d’innombrables blessés à la Puerta del Sol, il regagne sa maison de la rue du Carmen.
Ainsi tombent encore Miguel Blanco López, âgé de soixante ans, infirmier de la
confrérie de San Luis ; l’aide-chirurgien Saturnino Valdés Regalado, qui,
avec un camarade, porte sur un brancard un blessé dans la rue Atocha ; et
le chapelain du couvent des Descalzas José Cremades García, que les Français
abattent d’une balle pendant qu’il prodigue les dernières consolations à un
mourant, à la porte même de son église.
De toutes les morts qui, au cours de
cette journée, endeuillent Madrid, la plus singulière et la plus mystérieuse,
jamais élucidée jusqu’aujourd’hui, est celle de María Beano : la femme
sous le balcon de qui le capitaine Pedro Velarde passait chaque matin, pour
revenir la visiter dans l’après-midi. Encore jeune et belle, veuve d’un officier
d’artillerie, respectée de ses voisins et d’une honorabilité sans tache, cette
mère de quatre petits enfants, un garçon et trois filles, garde toute la
matinée sa fenêtre ouverte en demandant des nouvelles du parc de Monteleón. Et
quand, finalement, on
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