Un Jour De Colère
cris
et des malédictions, le combat devient général et féroce. Un coup de sabre met
hors de combat Mateo González qui se traîne comme il peut en se vidant de son
sang jusqu’à un porche voisin. D’autres tirs encore, et d’autres ennemis en
renfort, Antonio Ocaña tombe, traversé par une balle, Francisco del Pozo recule
en hurlant avec une blessure de sabre si profonde qu’elle lui a presque tranché
une épaule, et le reste cherche refuge dans le cloître du Buen Suceso, où des
femmes terrorisées crient et tentent de se cacher, tandis que résonnent les
décharges et que les Français forcent l’entrée.
— Je n’ai plus de balles, dit
Isidoro Máiquez. Et puis j’en ai assez fait.
L’acteur s’échappe par la porte qui
communique avec le couvent de la Victoria et file vers sa maison, près de Santa
Ana. Les frères Rejón l’accompagnent dans sa course, et il leur offre son
asile. En essayant de les suivre, Francisco Maroto est touché dans le dos par
une balle et s’écroule au milieu de la rue, devant le cabaret de La Canosa.
L’ancien soldat Juan Vie del Carmen, qui sort derrière avec son fils, prend
celui-ci par la main et se lance dans la direction opposée, vers le coin de la
rue Carretas, tandis que les balles sifflent tout autour et frappent le sol et
les façades avec un claquement sec.
— Cours, Juanito !…
Cours !… Pense à ta mère !… Cours !
En montant la rue Carretas, au
moment où ils vont tourner à droite pour passer derrière l’hôtel des Postes, le
gamin lâche sa main, titube et tombe.
— Papa !… Papa !
La mort dans l’âme, Juan Vie s’arrête
et revient. Une balle a traversé une cuisse de Juanito. Désespéré, le père
prend l’enfant dans ses bras et tente de le protéger de son corps, mais, en un
instant, ils se retrouvent entourés de soldats ennemis. Ceux-ci sont très
jeunes, leurs uniformes sont sales et leurs visages noirs de poudre. Avec une
brutalité systématique, à coups de crosses, les Français tuent le père et le
fils.
— D’autres gabachos arrivent !
Rue San José, devant le parc de
Monteleón, le capitaine Daoiz contient les civils qui, tout fiers de leur
récent exploit, veulent marcher à la rencontre des Français qui approchent.
Cette fois ils viennent sans roulements de tambour ; mais, selon les
hommes des avant-postes qui se replient en courant, ils sont nombreux.
— Pas de précipitation, les
enfants. Plus on les laissera avancer, mieux on pourra leur tomber dessus.
Le ton familier plaît aux civils,
satisfaits de se voir traités d’égal à égal par le capitaine d’artillerie. Le
serrurier Molina, qui s’est proposé pour tendre une embuscade près de la
fontaine Neuve, convainc les siens que monsieur l’officier a raison et qu’il
vaut mieux suivre ses instructions. Et donc, Luis Daoiz, après leur avoir
recommandé d’être prudents, d’économiser les munitions et de rester à couvert,
envoie Molina et ses gens dans les maisons qui font le coin avec la rue San
Andrés. En comptant la bande amenée par le serrurier, Daoiz a maintenant sous
ses ordres un peu plus de quatre cents hommes, artilleurs, Volontaires de
l’État et civils, plus une douzaine de femmes résolues. Celles-ci aident même à
pousser les quatre canons qui ont si bien joué leur rôle derrière la porte, et
que le capitaine ordonne à présent de sortir. Ils couvriront la rue
transversale San José dans les deux directions, à droite vers la rue San
Bernardo et la fontaine de Matalobos, à gauche vers la rue Fuencarral et la
fontaine Neuve, en prenant également en enfilade le bas de la rue San Pedro
qui, partant juste en face de la porte du parc, court perpendiculairement le
long du couvent de Las Maravillas. Le problème est que les canons, qui ont des
boulets pour trente tirs – et seulement quelques boîtes de mitraille improvisée
–, seront servis par des hommes à découvert, sans autre protection que les
tireurs postés aux fenêtres du parc surmontant le mur et dans les maisons
voisines ; et les munitions de ces derniers, bien qu’artilleurs et soldats
travaillent d’arrache-pied sous la direction du sergent Lastra, ne dépassent
pas vingt à trente cartouches par fusil.
— À tes ordres, Luis. Les
canons sont prêts.
Daoiz, qui observe avec
préoccupation les deux extrémités de la rue San José en se demandant par
laquelle se présentera l’ennemi, se retourne en entendant la voix de Pedro
Velarde.
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