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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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Labédoyère a raison. Ça ne sera pas facile.
    La balle frappe Jacinto Ruiz dans le
dos et ressort par la poitrine. À cinq ou six pas de là, Daoiz le voit se
dresser comme si, soudain, il avait oublié quelque chose d’important. Après
quoi, le lieutenant lâche son sabre, regarde avec étonnement l’orifice de
sortie dans la toile déchirée de sa veste blanche, et, enfin, suffoqué par le
sang qui jaillit de sa bouche, tombe d’abord sur le canon puis sur le pavé,
glissant le long de l’affût.
    — Occupez-vous de cet
officier ! ordonne Daoiz.
    Des civils prennent Ruiz et
l’emportent à l’intérieur du parc, mais Daoiz n’a pas le temps de se lamenter
sur la perte du lieutenant. Deux artilleurs et quatre civils qui servent les
canons sont tombés sous la grêle de balles que les Français font pleuvoir sur
les pièces, et plusieurs de ceux qui aident à charger et à pointer sont
blessés. Chaque fois que les ennemis parviennent à se rapprocher un peu, leur
tir se fait plus précis, et des essaims de plombs passent en bourdonnant pour
aller frapper le métal des canons ou faire voler en éclats le bois des affûts.
Pendant que Daoiz regarde autour de lui, une balle vient heurter avec un
claquement métallique la lame du sabre qu’il tient toujours contre son épaule.
Il constate que l’impact a creusé dans celle-ci une entaille d’un demi-pouce.
    Je n’en sortirai pas vivant, se
dit-il encore une fois.
    Les sifflements et les claquements
secs redoublent. À force de s’attendre à être touché d’un moment à l’autre, la
tension des muscles rend le dos et le torse de Daoiz douloureux. Un autre
artilleur affecté au canon du lieutenant Arango, Sébastian Blanco, vingt-huit ans,
porte les mains à sa tête et s’effondre avec un gémissement.
    — D’autres hommes à cette
pièce… Ne la dégarnissez pas !
    Satisfait, Daoiz observe que, même
en se battant ainsi exposés en plein milieu de la rue, les canons sont
manœuvrés avec régularité et de façon relativement efficace, et que leurs tirs
rasants imposent le respect aux Français, en s’unissant au feu impitoyable qui
vient du mur et des fenêtres supérieures du parc, où le capitaine Goicoechea et
ses Volontaires de l’État font leur travail. Des maisons d’en face et du verger
de Las Maravillas, les civils, qui gardent le moral, tirent également ou
alertent sur les mouvements de l’ennemi. Daoiz voit l’un d’eux quitter son
abri, courir vingt pas sous le feu pour fouiller les poches d’un Français mort
près du porche du couvent et, après l’avoir détroussé, revenir sans une
égratignure.
    — Il y a des gabachos qui se rassemblent là-bas ! Ils vont charger à la baïonnette !
    — Apportez de la
mitraille !… Il faut tirer à mitraille !
    Les sacs chargés de balles ou de
morceaux de métal sont épuisés depuis longtemps. Quelqu’un apporte une boîte
pleine de pierres à fusil.
    — C’est tout ce qu’il y a, mon
capitaine.
    — Il en reste d’autres ?
    — Une seule.
    — C’est toujours mieux que
rien… Chargez la pièce !
    Joignant ses efforts à ceux des
servants, Daoiz aide à pointer le canon sur la rue San Bernardo. Une balle
claque tout près de sa main droite, métal contre métal, et s’écrase à terre,
aplatie, de la taille d’une pièce de monnaie. Le capitaine est aidé par
l’artilleur Pascual Iglesias, et un homme du peuple de vingt-sept ans, grand et
fort, un vrai ruffian, nommé Antonio Gómez Mosquera. Comme les roues de l’affût
butent contre les décombres de la rue, Ramona García Sánchez, qui continue
d’apporter du parc des cartouches ou de l’eau pour rafraîchir canons et
artilleurs, aide aussi à pousser.
    — C’est pas le moment de
flancher, messieurs les soldats, blague-t-elle, en ahanant, dents serrées, une
épaule contre les rayons d’une roue.
    Dans l’effort, la résille qui
maintient ses cheveux s’est défaite, et ceux-ci tombent en vagues sur ses
épaules.
    — Olé ! Voyez cette
courageuse ! lance galamment Gómez Mosquera en jetant un regard sur le
corsage légèrement entrouvert de la fille.
    — Parle moins et vise mieux,
mon joli… J’ai envie d’un éventail en plumes de gabacho pour aller le
dimanche aux arènes.
    — C’est comme si c’était fait,
ma belle.
    Dès que le canon est en position,
l’artilleur Iglesias enfonce l’épinglette dans la lumière, passe un écouvillon
dans le tube et lève la

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