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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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ténacité toute germanique, depuis
que la dernière charge des cuirassiers et de l’infanterie française les a
délogés de la place de la Cebada, où ils s’étaient joints à un groupe qui
tentait de résister et où se trouvaient, entre autres, l’habitant de
l’Arganzuela Andrés Pinilla, le cordonnier Francisco Doce González, le garde de
la Casa del Campo León Sánchez et le vétérinaire Manuel Fernández Coca. Ils ont
tué un officier et deux soldats français près de la maison de l’archevêque de
Tolède : du coup, les soldats de l’armée impériale ont envahi la demeure
et l’ont sauvagement saccagée. Maintenant, traquée par des cavaliers français,
la bande s’est dispersée. Sánchez et Fernández Coca s’échappent vers la place
du Cordon et les autres vers la Cava Alta, où une balle de fusil déchiquette
les jambes d’Andrés Pinilla et une autre tue le cordonnier Doce González. Au
moment où les survivants – les trois Gardes wallonnes, un médecin militaire de
trente et un ans nommé Esteban Rodríguez Velilla, l’ouvrier maçon Joaquín
Rodríguez Ocaña et le Biscayen Cayetano Artúa, au service du marquis de
Villafranca – tentent de se retrancher derrière deux voitures abandonnées au
pied de l’escalier de la rue Cuchilleros, un peloton d’infanterie impériale
descend de la porte de Guadalajara en tirant sur tout ce qui bouge.
    — Partons !… Vite !…
Filons d’ici !
    Pris entre deux feux, le maçon et le
Biscayen tombent, blessés à mort, Monsak, Franzmann et Weller s’enfuient par
l’escalier, et Esteban Rodríguez Velilla, atteint d’une balle dans une cuisse,
essaye de se réfugier dans l’auberge de la Soledad où il loge, mais un
cuirassier le rattrape et lui assène deux coups de sabre, dont l’un lui ouvre
le crâne et l’autre lui fait une profonde entaille au cou. Perdant son sang, le
médecin se traîne de porte en porte jusqu’à Puerta Cerrada, où des habitants
pitoyables qui font partie des quelques-uns qui osent s’aventurer dans la rue
le recueillent et le portent dans l’auberge. Sa jeune femme, Rosa Ubago, se
précipite dans la cour, épouvantée par l’état de son mari qui gît inanimé, les
vêtements trempés de sang. À ce moment entrent plusieurs soldats français qui
ont vu emporter le blessé et veulent l’achever.
    —  Fripouille !
Salaud ! l’insultent les soldats impériaux, ivres de fureur.
    Les coups de pieds et de crosses
pleuvent, ils maltraitent la femme, les habitants s’enfuient, les Français
laissent Rodríguez Velilla pour mort et mettent la maison à sac. Le médecin
agonisera atrocement pendant dix jours, avant de mourir de ses blessures et des
coups reçus. Retirée en Galice, sa veuve Rosa Ubago, selon une lettre que sa
famille a conservée, ne se remariera pas, « par respect envers la mémoire
de celui qui est mort en héros ».
    — Hardi, les braves !… Que
Dieu vous bénisse !… Vive l’Espagne !
    Ces cris viennent d’une religieuse,
sœur Eduarda de San Buenaventura : une des cinq sœurs converses qui, avec
quatorze moniales, une prieure et une mère supérieure, résident dans le couvent
cloîtré de Las Maravillas, juste en face du parc de Monteleón. À la différence
de ses compagnes, sœur Eduarda ne soigne pas les blessés qu’on apporte de la
rue et n’aide pas le chapelain, don Manuel Rojo, à leur prodiguer les secours
spirituels. Elle est postée à une fenêtre du couvent qui donne sur l’entrée du
parc et encourage les hommes qui se battent en leur lançant à travers la grille
des images de saints et des scapulaires, que ceux-ci ramassent, baisent et
glissent dans leurs vêtements.
    — Ne restez pas là, ma sœur,
pour l’amour de Dieu ! la supplie la mère supérieure en essayant de
l’arracher de la fenêtre.
    — Alléluia !
Alléluia ! continue de clamer la religieuse sans se laisser faire. Vive
l’Espagne !
    Les coups de canon ont brisé les
vitres du vestibule et des fenêtres du couvent transformé en hôpital de
campagne. Salle capitulaire, chapelle, parloir, sacristie hébergent les blessés
qui arrivent sans cesse, et de longues traînées rouges – que les sœurs, au
début, lavaient à grand renfort de serpillières et de baquets d’eau, et dont,
maintenant, plus personne ne se soucie – souillent les couloirs et les
galeries. Grilles et clôture sont oubliées, les portes sur la rue sont
ouvertes, et les carmélites récollettes s’activent

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