Un long chemin vers la liberte
politique pour que les choses n’atteignent pas le stade désespéré de la guerre civile.
Nous avions choisi le 16 décembre, la fête de Dingane, pour une raison précise. Ce jour-là, les Sud-Africains blancs célébraient la défaite du grand chef zoulou Dingane, à la bataille de la Blood River (le fleuve de sang) en 1838. Dingane, le demi-frère de Chaka, dirigeait alors l ’ Etat africain le plus puissant qui ait jamais existé au sud du fleuve Limpopo. Ce jour-là, les balles des Boers furent trop nombreuses pour les lances des impis et leur sang rougit l ’ eau du fleuve proche. Les Afrikaners célèbrent le 16 décembre comme leur triomphe sur les Africains et la preuve que Dieu était de leur côté ; alors que ce jour-là, les Africains pleurent le massacre de leur peuple. Nous avions choisi le 16 décembre pour montrer que les Africains avaient seulement commencé la lutte et que le bon droit – et la dynamite – était de notre côté.
Les attentats prirent par surprise le gouvernement, qui les condamna comme des crimes odieux tout en les ridiculisant comme l’œuvre d’amateurs stupides. Ces sabotages firent également prendre dramatiquement conscience aux Sud-Africains blancs qu’ils étaient assis sur un volcan. Quant aux Sud-Africains noirs, ils comprirent que l’ANC n’était plus une organisation de résistance passive, mais une lance puissante qui porterait la lutte au cœur du pouvoir blanc. Nous organisâmes et exécutâmes une autre série d’attentats, quinze jours plus tard, pendant la nuit du Jour de l’an. Le bruit combiné des cloches qui sonnaient et des sirènes qui hurlaient n’était pas seulement une cacophonie pour fêter le Nouvel an, mais un bruit qui symbolisait une nouvelle ère dans notre lutte de libération.
La déclaration d’Umkhonto déclencha une contre- offensive haineuse et implacable de la part du gouvernement, à une échelle que nous n’avions encore jamais vue. La Special Branch de la police se fixa comme mission prioritaire la capture des membres de MK et elle ne ménagea aucun effort. Nous leur avions montré que nous ne resterions plus inactifs ; ils allaient nous montrer que rien ne les arrêterait dans leur volonté d’extirper ce qu’ils considéraient comme la plus grande menace pour leur survie.
46
Quand Winnie venait me voir, j ’ avais l ’ illusion, même fugitive, que la famille n ’ était pas affectée. Ses visites se faisaient moins fréquentes car la police devenait plus vigilante. Elle amenait Zindzi et Zenani avec elle, mais les petites étaient trop jeunes pour savoir que je me cachais. Makgatho, qui avait onze ans, était assez âgé pour comprendre, et on lui avait dit de ne jamais révéler mon vrai nom devant quelqu ’ un. Je peux assurer qu ’ il était bien résolu, à sa façon d ’ enfant, à garder mon identité secrète. Mais un jour, vers la fin de l ’ année, Makgatho jouait à la ferme avec Nicholas Goldreich, le fils d ’ Arthur, qui avait onze ans. Winnie m ’ avait apporté un exemplaire du magazine Drum et Makgatho et Nicholas le découvrirent. Ils commencèrent à le feuilleter et brusquement Makgatho s ’ arrêta sur une photo de moi avant que j ’ entre dans la clandestinité. « C ’ est mon père », s ’ écria-t-il. Nicholas ne le crut pas et ses doutes poussèrent Makgatho à prouver qu ’ il avait raison. Il dit à son ami que mon vrai nom était Nelson Mandela. « Non, ton père s ’ appelle David », répondit Nicholas. Et il courut demander à sa mère si mon nom était bien David. Sa mère lui répondit : « Oui, c ’ est David. » Alors Nicholas lui expliqua que Makgatho lui avait affirmé que le vrai nom de son père était Nelson. Hazel s ’ inquiéta et on m ’ informa de cette indiscrétion. De nouveau, j ’ eus la sensation que j ’ étais depuis trop longtemps au même endroit. Mais je restai quand même, parce qu ’ une semaine plus tard, je partais en mission dans des lieux dont je n ’ avais fait que rêver. Pour la première fois, la lutte me ferait franchir les frontières de mon pays.
En décembre, l ’ ANC avait reçu une invitation du Mouvement panafricain de libération de l ’ Afrique orientale, centrale et australe (PAFMECSA), pour assister à sa conférence d ’ Addis-Abeba en février 1962. Le PAFMECSA, qui deviendrait plus tard l ’ Organisation de l ’ unité africaine (OUA), avait pour but de réunir les Etats
Weitere Kostenlose Bücher