Un long chemin vers la liberte
militaires.
Joe Matthews, qui venait du Basutoland, m’a bientôt rejoint et j’ai insisté pour que nous partions au plus vite pour Dar es-Salaam. Un collègue de l’ANC à Lobatse venait d’être kidnappé par la police sud-africaine et je pensais que plus tôt nous nous en irions mieux cela vaudrait. On trouva un avion et notre première destination fut Kasane, une ville au nord du Bechuanaland, stratégiquement située près du point où se rencontraient quatre frontières – Bechuanaland, Rhodésie du Nord et du Sud {14} et Sud-Ouest africain {15} . La piste d’atterrissage de Kasane était inondée et nous avons trouvé une piste sèche à plusieurs kilomètres de là, au milieu de la savane. Le patron d’un hôtel local est venu nous chercher, armé de fusils, et nous a dit qu’il avait été retardé par un troupeau d’éléphants. Il avait une camionnette à l’arriére ouvert ; c’est là que nous nous sommes installés Joe et moi, et j’ai vu une lionne qui sortait des buissons. Je me sentais bien loin des rues de Johannesburg ; pour la première fois, je me trouvais dans l’Afrique mythique et légendaire.
Le lendemain matin, de bonne heure, nous sommes partis pour Mbeya, une ville du Tanganyika, près de la frontière de la Rhodésie du Nord. L’avion est passé près des chutes Victoria puis a filé vers le nord au-dessus des montagnes. Pendant que nous les survolions, le pilote a essayé de contacter Mbeya mais il n’a pas obtenu de réponse. Il n’arrêtait pas de dire dans son micro : « Mbeya ! Mbeya ! » Les conditions météo avaient changé et nous rencontrions beaucoup de trous d’air où l’avion était ballotté comme un bouchon sur une mer démontée. Nous traversions des nuages et de la brume et, en désespoir de cause, le pilote est descendu et a suivi une route sinueuse dans les montagnes. La brume est devenue si épaisse qu’on n’a plus vu la route et, quand le pilote a tourné brusquement, je me suis rendu compte qu’on venait d’éviter un pic qui avait semblé jaillir de nulle part. Le signal d’alarme s’est déclenché et je me souviens de m’être dit : « C’en est fini de nous. » Même Joe, d’ordinaire si bavard, était muet comme une tombe. Mais au moment où l’on ne voyait plus rien et où j’imaginais qu’on allait s’écraser contre une paroi rocheuse, nous avons quitté le mauvais temps pour sortir dans un ciel clair. Je n’ai jamais beaucoup aimé l’avion, et si ce voyage fut un des plus éprouvants que j’ai connus, je m’efforce parfois d’apparaître courageux et de faire comme si j’étais indifférent. Nous avons pris des chambres dans un hôtel local où nous avons trouvé une foule de Noirs et de Blancs assis sur la véranda en train de parler agréablement. Je n’avais jamais vu de lieu public ou d’hôtel sans barrière de couleur. Nous attendions Mr. Mwakangale du Syndicat national africain du Tanganyika, membre du Parlement qui, sans que nous le sachions, était déjà passé pour nous rencontrer. Un Africain alla voir la réceptionniste blanche : « Madame, est-ce qu’un monsieur Mwakangale a demandé ces deux messieurs ? lui demanda-t-il. — Je suis désolée, monsieur, répondit-elle. Il les a demandés, mais j’ai oublié de le leur dire. — Faites attention, s’il vous plaît, madame, lui dit-il d’un ton poli mais ferme. Ces messieurs sont nos hôtes et nous aimerions qu’ils soient bien reçus. » Je me suis vraiment rendu compte que nous étions dans un pays dirigé par des Africains. Pour la première fois de ma vie, j’étais un homme libre. J’avais beau être un fugitif recherché dans mon propre pays, j’ai senti que le fardeau de l’oppression quittait mes épaules. Partout où je suis allé au Tanganyika, la couleur de ma peau était automatiquement acceptée et non méprisée. Pour la première fois, on ne me jugeait pas d’après elle, mais d’après moi-même. J’ai eu souvent le mal du pays pendant mes voyages, mais je me sentais quand même chez moi pour la première fois.
Nous sommes arrivés à Dar es-Salaam le lendemain, et j’ai rencontré Julius Nyerere, le premier président de ce pays nouvellement indépendant. Nous étions chez lui et ce n’était pas très grand, je me souviens aussi qu’il conduisait lui-même sa voiture, une petite Austin. Cela m’a impressionné parce qu’on pensait à lui comme à un homme du peuple. Nyerere disait
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