Un long chemin vers la liberte
cela me semblait admirable et sensé, mais tandis qu’il me parlait, un sergent est entré dans la salle et a demandé au colonel où il pouvait trouver un certain lieutenant. Le colonel l’a regardé avec un mépris mal dissimulé et lui a répondu : « Tu ne vois pas que je parle à quelqu’un d’important ? Tu ne sais pas qu’il ne faut pas m’interrompre quand je mange ? Maintenant, hors de ma vue ! » Puis il a repris sur le même ton didactique.
L’entraînement devait durer six mois, mais au bout de huit semaines, j’ai reçu un télégramme de l’ANC qui me demandait de rentrer de toute urgence. La lutte armée prenait de l’ampleur et ils avaient besoin du commandant de MK.
Le colonel me fit conduire en avion jusqu’à Khartoum. Avant que je parte, il m’offrit un pistolet automatique et deux cents cartouches. Je lui fus très reconnaissant, pour son enseignement et pour le pistolet. Malgré mes marches, je trouvai les munitions très lourdes à porter. Une seule balle a un poids étonnant : transporter deux cents balles, c’est comme porter un petit enfant sur son dos.
A Khartoum, j’ai rencontré un employé de la British Airways qui m’a dit que mon avion pour Dar es-Salaam ne partirait pas avant le lendemain et qu’on avait pris la liberté de me retenir une chambre dans un hôtel chic. J’étais épouvanté, car j’aurais préféré descendre dans un hôtel de troisième catégorie plus discret.
On m’a déposé devant l’hôtel et j’ai dû traverser la longue véranda élégante de l’hôtel où des dizaines de Blancs étaient installés. C’était bien avant les détecteurs d’objets métalliques et les contrôles de sécurité, et je portais mon pistolet dans un holster sous ma veste et les deux cents balles enroulées autour de la taille, dans mon pantalon. J’avais aussi plusieurs milliers de livres en liquide. Tous ces Blancs bien habillés me semblaient avoir des yeux comme des rayons X et j’avais l’impression qu’on allait m’arrêter à chaque instant. Mais on m’a accompagné sans encombre jusqu’à ma chambre ; même le bruit des pas des serveurs me mettait les nerfs à vif.
De Khartoum, je suis allé directement à Dar es-Salaam où j’ai accueilli le premier groupe de vingt et une recrues d’Umkhonto qui se rendaient en Ethiopie pour y suivre un entraînement militaire. Ce fut un moment de fierté, car ces hommes s’étaient portés volontaires pour entrer dans une armée que j’essayais de créer. Ils risquaient leur vie dans un combat qui ne faisait que commencer, un combat qui serait du plus grand danger pour les premiers soldats. C’étaient de jeunes hommes fiers et impatients, venant essentiellement des villes. Le soir, nous avons mangé ensemble et ils ont tué une chèvre en mon honneur ; je leur ai parlé de mon voyage et de la nécessité d’une bonne conduite et de la discipline à l’étranger, parce qu’ils représentaient la lutte de libération de l’Afrique du Sud. Je leur ai expliqué que l’entraînement militaire devait s’accompagner d’une formation politique car la révolution ne consiste pas seulement à appuyer sur la détente d’un fusil ; son but est de créer une société honnête et juste. Ce fut la première fois que mes soldats m’ont salué.
Le président Nyerere a mis à ma disposition un avion privé pour Mbeya et de là je suis allé directement à Lobatse. Le pilote m’a informé que nous atterririons à Kanye. Cela m’inquiéta : pourquoi ce changement ? A Kanye, le magistrat local et un homme de la sécurité, tous les deux blancs, m’attendaient. Le magistrat s’est approché et m’a demandé mon nom. J’ai répondu : David Motsamayi. « Non, a-t-il dit, votre vrai nom, s’il vous plaît. » J’ai répété : David Motsamayi. Le magistrat a dit : « S’il vous plaît, donnez-nous votre vrai nom parce qu’on m’a donné l’ordre de rencontrer Mr. Mandela et de lui fournir une aide et un moyen de transport. Si vous n’êtes pas Mr. Mandela, j’ai peur d’être obligé de vous arrêter pour être entré dans le pays sans autorisation. Etes-vous Nelson Mandela ? »
C’était une situation très embarrassante ; je pouvais être arrêté dans les deux cas. « Si vous tenez à ce que je sois Nelson Mandela et non David Motsamayi, ai-je dit, je ne vais pas vous contrarier. » Il a souri et a conclu : « Nous vous attendions hier. »
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