Un long chemin vers la liberte
membres de l’Alliance, et j’étais d’accord.
J’ai passé ma dernière nuit à Londres à discuter de ces questions avec Yusuf. Je lui ai expliqué que maintenant que nous nous engagions dans la lutte armée, nous devions compter sur d’autres nations africaines pour l’argent, l’entraînement et le soutien, et que par conséquent, nous devions plus tenir compte de leur point de vue que par le passé. Yusuf croyait qu’Oliver et moi étions en train de changer la politique de l’ANC, que nous nous préparions à abandonner la conception non raciste qui avait été au centre de la Charte de la liberté. Je lui ai dit qu’il se trompait ; nous ne rejetions pas l’antiracisme, nous disions simplement que l’ANC devait s’affirmer seul et faire des déclarations qui n’étaient pas celles de l’Alliance des congrès. Souvent, l’ANC, le SAIC (Indien) et le CPC (métis) faisaient une déclaration commune sur une question qui ne concernait que les Africains. Cela ne plaisait pas à Yusuf. « Et la politique ? » répétait-il en permanence. Je lui ai dit que je ne parlais pas de politique mais d’image. Nous continuerions à travailler ensemble mais l’ANC devait apparaître le premier parmi ses pairs.
J ’ étais triste de quitter mes amis de Londres, mais je partais maintenant dans la partie de mon voyage qui m ’ était la moins familière : l ’ entraînement militaire. J ’ avais prévu de recevoir un entraînement de six mois à Addis-Abeba. Là-bas, je retrouvai le ministre des Affaires étrangères, qui m ’ accueillit chaleureusement et qui m ’ emmena dans une banlieue appelée Kolfe, le quartier général du Bataillon révolutionnaire éthiopien où je devais apprendre l ’ art et la science des armes. Bien qu ’ étant boxeur amateur, je connaissais à peine les rudiments du combat. Mon instructeur était le lieutenant Wondoni Befikadu, un soldat expérimenté qui avait combattu les Italiens dans la clandestinité. Notre programme était très dur : entraînement de 8 heures à 13 heures ; douche et déjeuner ; puis nouvelle séance de 14 à 16 heures. A partir de 16 heures, le colonel Tadesse me donnait des cours de science militaire ; c ’ était l ’ adjoint du préfet de police et il avait réussi à faire échouer une tentative de coup d ’ Etat contre l ’ empereur.
J’ai appris à tirer avec un fusil automatique et un pistolet et je me suis entraîné au tir à la fois à Kolfe avec la garde de l’empereur, et sur un champ de tir à une cinquantaine de kilomètres avec tout le bataillon. On m’a enseigné la démolition et l’utilisation d’un mortier, ainsi que la fabrication de petites bombes et de mines – et la façon de les éviter. Je me sentais transformé en soldat et je commençais à penser comme un soldat – ce qui est loin de la façon de penser d’un politicien.
Ce que je préférais, c’étaient les marches, quand on n’a qu’un fusil, des munitions et un peu d’eau et qu’on doit parcourir une certaine distance dans un temps donné. Au cours de ces marches, je découvrais le très beau paysage avec des forêts épaisses et des hauts plateaux secs. Le pays était extrêmement arriéré : les gens utilisaient des charrues de bois et avaient un régime alimentaire très simple auquel ils ajoutaient de la bière de fabrication domestique. Leur existence était semblable à celle des régions rurales d’Afrique du Sud ; partout dans le monde, les pauvres ont plus de points communs que de différences.
Pendant les cours, le colonel Tadesse traitait de questions comme la création d’une force de guérilla, le commandement d’une armée et la discipline. Un soir, pendant le dîner, il me dit : « Ecoutez, Mandela, vous créez une armée de libération, pas une armée capitaliste conventionnelle. Une armée de libération est égalitaire. On doit traiter ses hommes d’une façon tout à fait différente de la façon dont on les traiterait dans une armée capitaliste. Quand on est de service, on doit exercer son autorité avec assurance et contrôle. Ce n’est pas différent d’un commandement dans une armée capitaliste. Mais quand on n’est pas de service, on doit se conduire sur la base d’une égalité parfaite, même avec le soldat le moins gradé. On doit manger comme ses hommes ; on ne doit pas aller dans son bureau mais manger et boire avec eux, ne pas s’isoler. »
Tout
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