Un long chemin vers la liberte
: « Ne vous inquiétez pas, Mandela, les Français d’ici s’identifient tout à fait avec nos aspirations d’Africains. »
Quand nous sommes arrivés chez le ministre, nous avons rencontré des secrétaires africaines à la réception. L’une d’elles a demandé à la Française ce qu’elle faisait là. Elle lui a répondu que le président l’avait envoyée pour servir d’interprète. Une discussion s’ensuivit et une des secrétaires se tourna vers moi pour me demander : « Parlez-vous anglais, monsieur ? » Je lui dis oui et elle répondit : « Le ministre parle anglais, vous pourrez discuter directement avec lui. Vous n’avez pas besoin d’interprète. » La jeune Française resta là pendant que j’allais parler au ministre, qui nous promit de répondre à nos demandes. Au bout du compte, Senghor ne nous fournit pas ce que nous étions venus chercher, mais il me procura un passeport diplomatique et nous paya le voyage en avion de Dakar à Londres.
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J ’ avoue être un peu anglophile. Quand je pensais à la démocratie occidentale et à la liberté, je pensais au système parlementaire britannique. De bien des façons, pour moi, le modèle du gentleman était l ’ Anglais. Bien que la Grande-Bretagne fût la patrie de la démocratie parlementaire, c ’ était cette démocratie qui avait aidé à imposer à mon peuple un système inique et pernicieux. Si j’abhorrais la notion d’impérialisme britannique, je n’avais jamais rejeté l’apparat du style et des manières britanniques.
J’avais plusieurs raisons pour vouloir aller en Grande-Bretagne, en plus de mon désir de voir le pays dont j’avais tant entendu parler et sur lequel j’avais lu tant de choses. La santé d’Oliver m’inquiétait et je voulais le persuader de se faire soigner. J’avais aussi très envie de voir sa femme Adélaïde et leurs enfants, ainsi que Yusuf Dadoo qui maintenant habitait Londres où il représentait le mouvement du Congrès. Je savais aussi que je pourrais m’y procurer de la littérature sur la guerre de guérilla que je n’avais pas trouvée ailleurs.
A Londres, j’ai repris mon ancienne vie clandestine car je ne voulais pas qu’en Afrique du Sud on apprenne où je me trouvais. Les tentacules des forces de sécurité sud-africaines s’étendaient jusqu’à Londres. Mais je ne vivais pas en reclus ; les dix jours que j’y ai passés ont été partagés entre les problèmes de l’ANC, la rencontre de vieux amis et quelques promenades en touriste. Avec Mary Benson, une amie anglaise qui avait écrit sur notre lutte, nous avons visité la ville qui, autrefois, avait commandé près des deux tiers de la planète : Westminster Abbey, Big Ben, le Parlement. Tout en étant fier de la beauté de ces monuments, j’avais des doutes sur ce qu’ils représentaient. Quand nous avons vu la statue du général Smuts près de Westminster Abbey, Oliver et moi, nous avons plaisanté en disant qu’un jour on mettrait peut-être la nôtre à sa place.
Beaucoup de gens m ’ avaient dit que l ’ Observer, dirigé par David Astor, avait des sympathies pour le PAC et disait que l ’ ANC appartenait au passé. Oliver organisa une rencontre chez Astor et nous avons longuement parlé de l ’ ANC. Je ne sais pas si j ’ eus une influence mais le ton du journal changea. Il me recommanda également de parler avec un certain nombre d ’ hommes politiques de premier plan et, en compagnie du député travailliste Dennis Healey, je rencontrai Hugh Gaitskell, le chef du Parti travailliste, et Joe Grimond, le chef du Parti conservateur.
Ce n’est qu’à la fin de mon séjour que j’ai vu Yusuf, mais ce ne fut pas une réunion agréable. Tout au long de notre voyage, Oliver et moi avions rencontré la même difficulté : tous les responsables africains nous avaient interrogés sur nos relations avec les communistes blancs et indiens, en laissant parfois entendre qu’ils contrôlaient l’ANC. Notre attitude non raciste aurait moins posé de problèmes sans la formation du PAC explicitement nationaliste et antiblanc. Dans le reste de l’Afrique, la plupart des responsables africains comprenaient mieux les conceptions du PAC que celles de l’ANC. Oliver et Yusuf en avaient déjà parlé, et Yusuf n’aimait pas nos conclusions. Oliver avait décidé que l’ANC devait apparaître plus indépendant en lançant certaines actions unilatéralement sans la participation des autres
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