Un long chemin vers la liberte
somme d ’ argent que j ’ avais jamais possédée. Je lui dis au revoir et je lui promis de ne pas le décevoir.
Clarkebury était un collège thembu, construit sur une terre donnée par le grand roi thembu Ngubengcuka, et je supposais qu ’ on y accorderait la même déférence à un descendant de Ngubengcuka que celle à laquelle je m ’ étais habitué à Mqhekezweni. Mais je me trompais lourdement, car on ne me traita pas différemment des autres. Personne ne savait ni n ’ attachait d ’ importance au fait que j ’ étais un descendant de l ’ illustre Ngubengcuka. Le maître d ’ internat me reçut sans faire sonner les fanfares et mes camarades ne s ’ inclinèrent pas devant moi. A Clarkebury, beaucoup étaient d ’ ascendance remarquable et je n ’ étais plus unique. Je reçus là une bonne leçon parce que je pense qu ’ à l ’ époque j ’ étais un peu imbu de moi-même. Je me suis vite rendu compte que je devais faire mon chemin en fonction de mes capacités et non de mon héritage. La plupart de mes camarades de classe me dépassaient en sport et en classe et je devais faire un gros effort pour les rattraper.
Les cours commencèrent le lendemain matin et, avec les autres, je montai au premier étage, où se trouvaient les salles de classe. La nôtre avait un plancher bien ciré. J ’ avais mis mes bottes neuves. Je n ’ en avais jamais porté et, ce premier jour, je marchais comme un cheval qu ’ on vient de ferrer. Je faisais un fracas épouvantable en montant et je faillis glisser plusieurs fois. Quand j ’ entrai en boîtant dans la classe, mes bottes retentissant sur le parquet ciré, je vis deux filles au premier rang qui me regardaient clopiner avec beaucoup d ’ amusement. L ’ une d ’ elles, la plus jolie, se pencha vers sa voisine et lui dit, assez fort pour que je puisse entendre : « Ce petit paysan n ’ a pas l ’ habitude de porter des bottes », ce qui fit rire son amie. La colère et la honte m ’ aveuglèrent.
Elle s ’ appelait Mathona et c ’ était un peu mademoiselle je-sais-tout. Je me jurai de ne jamais lui adresser la parole. Mais tandis que mon humiliation disparaissait (et que j ’ apprenais à marcher avec des bottes), je fis sa connaissance et elle devint ma meilleure amie à Clarkebury. C ’ est la première fille avec qui j ’ eus une véritable amitié sur un pied d ’ égalité et pus partager des secrets. A bien des égards, ce fut un modèle pour les relations amicales que j ’ eus par la suite avec des femmes, car j ’ ai découvert que je pouvais me confier aux femmes et leur avouer des faiblesses et des peurs que je n ’ aurais jamais révélées à un homme.
Je m ’ adaptai rapidement à la vie de Clarkebury. Je participais aux activités sportives aussi souvent que je le pouvais mais avec de médiocres résultats. J ’ y participais pour l ’ amour du sport, pas pour la gloire, car je n ’ en obtenais aucune. Nous jouions au tennis sur gazon avec des raquettes que nous nous fabriquions nous-mêmes, et au football, pieds nus et dans la poussière.
Pour la première fois, j ’ avais des professeurs bien formés. Plusieurs d ’ entre eux avaient un diplôme universitaire, ce qui était extrêmement rare. Un jour, je travaillais avec Mathona et je lui confiai que j ’ avais peur de ne pas réussir mes examens d ’ anglais et d ’ histoire à la fin de l ’ année. Elle me dit de ne pas m ’ inquiéter parce que notre professeur, Gertrude Ntlabathi, était la première Africaine à avoir obtenu sa licence. « Elle est trop intelligente pour nous laisser échouer », me dit Mathona. Je n ’ avais pas appris à feindre des connaissances que je ne possédais pas, et comme je n ’ avais qu ’ une vague idée de ce qu ’ était une licence, je posai la question à Mathona. « Oh, oui, bien sûr, me répondit-elle. Une licence, c ’ est un livre très long et très difficile. » Je la crus sur parole.
Ben Mahlasela était un autre professeur africain qui avait une licence. Nous l ’ admirions non seulement pour ses succès universitaires mais aussi parce que le révérend Harris ne l ’ intimidait pas. Même les enseignants blancs se comportaient de manière servile devant le révérend Harris, mais Mr. Mahlasela entrait sans crainte dans son bureau, et parfois il oubliait même d ’ ôter son chapeau ! Il parlait au révérend sur un pied d ’ égalité, en exprimant son désaccord là où
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