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Un long chemin vers la liberte

Un long chemin vers la liberte

Titel: Un long chemin vers la liberte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nelson Mandela
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leur courage, des hommes comme Sandile, Makhanda et Moqoma, dont les deux derniers furent emprisonnés sur Robben Island où ils moururent. A l ’ époque de mon arrivée il restait peu de traces des batailles du siècle précédent, sauf la principale   : là où autrefois seuls les Xhosas avaient vécu et cultivé les champs, il y avait maintenant une ville blanche.
    Située au bout d ’ une route sinueuse qui surplombait une vallée verdoyante, la ville d ’ Healdtown était beaucoup plus belle et beaucoup plus impressionnante que Clarkebury. A l ’ époque, s ’ y trouvait le plus grand lycée africain au-dessous de l ’ équateur, avec plus d ’ un millier d ’ étudiants, filles et garçons. Ses bâtiments coloniaux élégants, couverts de lierre, et ses cours ombragées donnaient la sensation d ’ une oasis universitaire privilégiée, ce qu ’ il était précisément. Comme Clarkebury, Healdtown était une école de mission de l ’ Eglise méthodiste où l ’ on dispensait un enseignement chrétien et libéral fondé sur le modèle anglais.
    Le directeur d ’ Healdtown était le Dr. Arthur Wellington, un Anglais robuste et collet monté qui se vantait de liens avec le duc de Wellington. Au début des réunions, il montait sur l ’ estrade et disait de sa voix grave de basse   : « Je suis le descendant de l ’ illustre duc de Wellington, aristocrate, homme d ’ Etat et général, qui a écrasé le Français Napoléon à Waterloo et a ainsi sauvé la civilisation pour les Européens –   et pour vous, les Indigènes. » Nous devions applaudir avec enthousiasme, profondément reconnaissants qu ’ un descendant de l ’ illustre duc de Wellington prît la peine d ’ éduquer des indigènes comme nous. L ’ Anglais éduqué était notre modèle   ; nous aspirions à devenir des « Anglais noirs   », comme on nous appelait parfois par dérision. On nous enseignait –   et nous étions persuadés  – que les meilleures idées étaient les idées anglaises, que le meilleur gouvernement était le gouvernement anglais et que les meilleurs des hommes étaient les Anglais.
    A Healdtown on menait une vie rigoureuse. La première cloche sonnait à 6 heures. Nous descendions au réfectoire à 6 h 40 pour un petit déjeuner de pain sec et d’eau chaude sucrée, surveillés par un sombre portrait de George VI, le roi d’Angleterre. Ceux qui avaient les moyens de mettre du beurre sur leur pain en achetaient et le gardaient dans la cuisine. Je mangeais mon pain sec. A 8 heures, nous nous rassemblions dans la cour, devant notre dortoir pour l’« inspection   », en restant au garde-à-vous pendant que les filles arrivaient de leurs dortoirs. Nous restions en classe jusqu’à 12 h 45 et nous prenions un repas de gruau, de lait caillé et de haricots avec rarement de la viande. Puis nous retournions en classe jusqu’à 17 heures, ensuite il y avait une heure de récréation pour le sport et le dîner, puis étude de 19 à 21 heures. Extinction des feux à 21 h 30.
    Des élèves de tout le pays ainsi que des protectorats du Basutoland, du Swaziland et du Bechuanaland {1} venaient à Healdtown. Il s ’ agissait d ’ un établissement essentiellement xhosa mais il accueillait aussi des élèves venant d ’ autres tribus. Après la classe et pendant les week-ends, les élèves se regroupaient par tribus. Même les membres des différentes tribus xhosas restaient ensemble, les amaMpondo avec les amaMpondo et ainsi de suite. Je faisais de même mais c ’ est à Healdtown que j ’ ai eu mon premier ami de langue sotho, Zachariah Molete. Je me souviens de m ’ être senti tout à fait audacieux d ’ avoir un ami qui n ’ était pas xhosa.
    Notre professeur de zoologie, Frank Lebentlele, était lui aussi de langue sotho et les élèves l ’ aimaient beaucoup. Très beau et très simple, Frank n ’ était pas beaucoup plus âgé que nous et se mêlait librement à ses élèves. Il jouait au football dans l ’ équipe première du lycée dont il était la vedette. Mais ce qui nous étonna le plus, ce fut son mariage avec une Xhosa d ’ Umtata. Les mariages intertribaux étaient extrêmement rares. Jusqu ’ alors, je n ’ avais jamais connu quelqu ’ un qui se fût marié en dehors de sa tribu. On nous avait appris que de telles unions étaient taboues. Mais le spectacle de Frank et de sa femme ébranla mon esprit de clocher et l ’ emprise du tribalisme qui m ’ emprisonnait

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