Un long chemin vers la liberte
Xhosas traditionalistes, ce nom est plus acceptable que mes deux prénoms précédents, Rolihlahla ou Nelson, et j ’ étais fier d ’ entendre prononcer ce nouveau prénom : Dalibunga.
Immédiatement après le coup de sagaie, un assistant qui suivait le maître de la circoncision ramassa le prépuce et l ’ attacha à un coin de la couverture. Ensuite, on appliqua sur la blessure une plante cicatrisante dont les feuilles étaient piquantes à l ’ extérieur mais douces à l ’ intérieur, et qui absorbait le sang et les autres sécrétions.
A la fin de la cérémonie, nous sommes revenus dans nos huttes où brûlait un feu de bois vert qui répandait une fumée supposée aider la guérison. On nous a donné l ’ ordre de nous coucher sur le dos dans nos huttes enfumées, avec une jambe allongée et une autre repliée. Nous étions maintenant des abakhweta, des initiés dans le monde adulte. Un amakhankatha, ou tuteur, s ’ occupait de nous et il nous expliqua les règles que nous devions suivre pour entrer comme il faut dans le monde adulte. La première tâche de l ’ amakhankatha fut de peindre nos corps nus et rasés, de la tête aux pieds, avec de l ’ ocre blanche, ce qui nous transforma en fantômes. La chaux blanche symbolisait notre pureté, et je me souviens encore de la raideur de la terre séchée sur mon corps.
Au cours de cette première nuit, à minuit, un assistant ou ikhankatha fit le tour de la hutte pour nous réveiller doucement. On nous dit de nous en aller à petits pas dans la nuit pour enterrer nos prépuces. D ’ après la tradition ils seraient ainsi cachés avant que des sorciers puissent les utiliser pour faire le mal, mais symboliquement nous enterrions aussi notre jeunesse. Je ne voulais pas quitter la chaleur de la hutte pour m ’ en aller dans l ’ obscurité ; mais je suis quand même parti sous les arbres et après quelques minutes, j ’ ai détaché mon prépuce et je l ’ ai enfoui dans la terre. J ’ ai senti que je m ’ étais débarrassé du dernier reste de mon enfance.
Nous avons habité dans nos deux huttes – treize dans dans chacune – en attendant la guérison de nos blessures. A l ’ extérieur, nous étions enveloppés dans une couverture car nous n ’ avions pas le droit d ’ être vus par les femmes. Ce fut une période de calme, une sorte de préparation spirituelle aux épreuves de l ’ âge adulte qui nous attendaient. Le jour de notre réapparition, nous sommes descendus très tôt à la rivière pour nous laver de la terre blanche dans l ’ eau de la Mbashe. Quand nous avons été propres et secs, on nous a enduits d ’ ocre rouge. La tradition voulait qu ’ on couche avec une femme qui plus tard pouvait devenir votre épouse, et elle enlevait la terre rouge avec son corps. Mais dans mon cas, on l ’ a enlevée avec un mélange de graisse et de lard.
A la fin de notre retraite, on a brûlé les huttes et tout ce qu ’ elles contenaient, détruisant ainsi nos derniers liens avec l ’ enfance, et une grande cérémonie eut lieu pour nous accueillir dans la société en tant qu ’ hommes. Nos familles, nos amis et les chefs locaux se réunirent pour des discours, des chansons et des cadeaux. On me donna deux génisses et quatre moutons, après quoi je me sentis plus riche que je ne l ’ avais jamais été. Moi qui n ’ avais jamais rien possédé, j ’ avais soudain quelque chose. C ’ était une sensation enivrante même si ce que j ’ avais reçu représentait bien peu à côté des cadeaux de Justice, qui avait hérité de tout un troupeau. Je n ’ étais pas jaloux. Il était fils de roi ; j ’ étais, moi, destiné à devenir seulement conseiller du roi. Ce jour-là, je me suis senti fier et fort. Je me souviens que je marchais différemment, je me sentais plus droit, plus grand, plus sûr de moi. J ’ étais plein d ’ espoir et je pensais qu ’ un jour j ’ aurais peut-être de la richesse, des propriétés et une place importante dans la société.
Le principal orateur de la journée fut le chef Meligqili, le fils de Dalindyebo, et après l ’ avoir écouté, mes rêves gaiement colorés se sont brusquement obscurcis. Il commença de façon conventionnelle, en remarquant qu ’ il était bien que nous continuions une tradition qui durait depuis plus longtemps que personne ne pouvait s ’ en souvenir. Puis il s ’ adressa à nous et soudain son ton changea. « Et voici nos fils, dit-il,
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