Un long chemin vers la liberte
approche scientifique de la religion. Je trouvais cela très attirant. Beaucoup utilisaient la science pour démystifier la religion, mais lui s ’ en servait pour étayer ses convictions. Je me souviens d ’ un de ses sermons sur les Rois mages d ’ Orient qui ont suivi une étoile jusqu ’ à Bethléem. « Ce n ’ est ni une superstition ni un mythe », dit-il et il cita des astronomes qui avaient montré qu ’ à l ’ époque une comète avait suivi la voie indiquée par la Bible.
En nous connaissant mieux, le révérend Scheffer devint plus sympathique. C ’ était un pince-sans-rire et il aimait plaisanter avec nous. « Vous savez, nous a-t-il dit un jour, dans ce pays, l ’ homme blanc a une tâche plus difficile que l ’ homme noir. A chaque fois qu ’ il y a un problème, nous devons trouver une solution. Mais à chaque fois que vous avez un problème, vous les Noirs, vous avez une excuse. Vous dites simplement Ingabilungu. » Nous avons éclaté de rire, pas seulement à cause de sa prononciation volontairement comique mais aussi à cause de l ’ idée. « Ngabelungu » est une expression xhosa qui veut dire « C ’ est les Blancs ». Il voulait en fait nous dire que nous devions aussi regarder en nous-mêmes et devenir responsables de nos actes – sentiments que je partageais de tout cœur.
Ce que le dimanche représentait pour le reste de la semaine, Noël le représentait pour le reste de l’année. C’était le seul jour où les autorités manifestaient un peu de bienveillance à notre égard. Ce jour-là, nous n’allions pas à la carrière et nous avions le droit d’acheter quelques douceurs. Nous n’avions pas de repas traditionnel de Noël mais on nous donnait une tasse de café supplémentaire au souper.
Nous avions le droit d’organiser un concert, de faire des concours sportifs et de monter une pièce. Le concert représentait le clou de la soirée. Selby Ngendane du PAC dirigeait la chorale. Il avait appartenu à la Ligue de la jeunesse de l’ANC avant de passer au PAC. Il avait le sens du comique, une belle voix et beaucoup d’oreille.
Il choisissait les chansons, faisait les harmonisations, sélectionnait les solistes et dirigeait l’exécution. Le concert avait lieu le matin de Noël dans la cour. Nous mêlions les chansons traditionnelles anglaises et africaines, et nous y ajoutions quelques chants de lutte – les autorités ne semblaient pas s’en émouvoir, ou peut-être ne faisaient-elles pas la différence. Nous avions un public de gardiens et ils aimaient autant nos chants que nous les aimions nous-mêmes.
Avant d’entrer en prison, on considérait Ngendane comme un peu léger sur le plan politique. Mais en prison, il montra son courage. Quand on est détenu, on aime bien se retrouver avec des gens joyeux comme Selby.
La prison était une sorte de creuset qui mettait le caractère à l’épreuve. Sous la pression de l’incarcération, certains faisaient preuve d’un vrai courage, tandis que d’autres apparaissaient très en dessous de ce qu’ils avaient semblé.
En plus des concerts, nous organisions un tournoi d’échecs, de dames, de scrabble ou de bridge. Chaque année je participais au tournoi de dames, et parfois je remportais le premier prix, en général un sucre d’orge. J’avais un style de jeu lent et réfléchi, une stratégie conservatrice. Je réfléchissais avec attention aux conséquences de chaque coup possible et je prenais beaucoup de temps chaque fois. Je me méfie des analogies, mais c’est ma façon préférée d’opérer non seulement aux dames mais aussi en politique.
La plupart de mes adversaires étaient plus rapides et ma façon de jouer les énervait. J’affrontais souvent Don Davis. Membre du Non-European Unity Movement (Mouvement de l’unité non européenne), il avait été élevé dans la région des mines de diamant de Kimberley et c’était un type rude, intrépide et exalté. Il jouait très bien aux dames mais son style contrastait avec le mien. Quand Don jouait, la sueur lui ruisselait sur le visage. Il était tendu et nerveux, et jouait rapidement comme si la vitesse rapportait des points. Nous nous sommes retrouvés plusieurs fois en finale du tournoi annuel.
Don m ’ appelait Qhipu à cause d ’ une de mes habitudes au jeu de dames. J ’ étudiais chaque possibilité et au moment de jouer, je criais « Qhipu ! » – c ’ est-à-dire « Je frappe ! » –
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